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Education populaire: de l’oxygène pour la démocratie

Rencontres nationales de l'Éducation populairedossier
On ne comprend rien à l’éducation populaire si l’on ignore que ses militantes et militants restent aujourd’hui, plus que jamais, des insurgés refusant le fatalisme du destin, la restriction de la culture à une élite, la résignation à l’injustice et aux inégalités… Une tribune de Philippe Meirieu.
par Philippe Meirieu, chercheur, professeur des universités en sciences de l'éducation
publié le 3 mars 2022 à 16h48
(mis à jour le 19 mars 2022 à 8h05)
Du 17 au 19 mars 2022, auront lieu à Poitiers les premières Rencontres nationales de l’éducation populaire. Une réponse politique, sociale et culturelle aux enjeux de demain. Libération, partenaire de l’événement, proposera le 18 mars à 20h30 une table ronde sur le sujet. A suivre sur notre site.

Dans «éducation populaire», il y a d’abord «éducation». Et qui dit «éducation», dit «éducation de toutes et tous sans condition». Tant qu’on n’a pas épuisé tous les moyens pour éduquer quelqu’un, on n’a pas le droit de dire qu’il est inéducable. Et, puisqu’on ne sait jamais si l’on a épuisé tous les moyens pour y parvenir, impossible de se résigner à l’échec. C’est pourquoi les militantes et les militants de l’éducation populaire refusent que, face aux problèmes de nos sociétés, on ne mobilise que la sanction, la répression et l’exclusion : ils exigent que l’on fasse le pari de la prévention et de l’éducation. Ils savent que ce pari n’est guère du goût des technocrates car ses résultats sont toujours difficiles à mesurer. Mais ils sont convaincus qu’il faut inlassablement s’attaquer aux causes plutôt que de tenter de camoufler les symptômes de nos maux. Ils savent aussi qu’en matière éducative, rien n’est jamais définitivement gagné : on ne forme pas des sujets comme on fabrique des objets. On crée des situations, on mobilise des ressources, on accompagne des personnes pour qu’elles comprennent ce qui leur arrive et mobilisent leur liberté. Pas de victoire définitive dans cette affaire, mais une obstination besogneuse au quotidien, au plus près des gens et, en particulier, des «gens de peu».

Car, dans «éducation populaire», il y a aussi «populaire». Pas une éducation «populiste»… mais tout le contraire, précisément : une éducation «exigeante». Loin des slogans manichéens et des logiques de boucs émissaires, de l’emprise des marques ou des gourous, l’éducation populaire veut faire partager une culture qui permet de s’ouvrir à l’altérité et de créer du commun, de reconnaître les différences entre les êtres et les cultures tout en activant les solidarités entre eux. Entreprise difficile aussi et sans cesse à remettre en chantier. Car il n’est pas possible, ici, de se contenter d’une politique de l’offre et d’attendre le «client» intéressé en regrettant l’indifférence ou l’hostilité des autres : il faut aller au-devant de toutes et tous et, en particulier, de celles et ceux qui sont les plus éloignés des savoir-faire et des savoirs qui émancipent. Proposer. Reproposer sans cesse, jusqu’à ce que les personnes se saisissent de ce qui leur permettra de se dépasser, de se libérer de tous les enfermements, d’échapper à tous les processus d’assignation à résidence pour, ensemble, «se faire œuvre d’elles-mêmes».

Parce qu’elles sont mobilisées contre toutes les formes de fatalité, les associations d’éducation populaire sont l’oxygène de la démocratie. C’est pourquoi il faudrait que la République les considère, enfin, non plus comme des prestataires de services mais comme de véritables partenaires du service public de l’éducation.

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