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Zone d’expression prioritaire, pour tirer l’écriture à soi

Rencontres nationales de l'Éducation populairedossier
Des journalistes organisent des ateliers d’écriture avec des jeunes pour leur montrer que leurs histoires comptent et leur apprendre à oser les raconter.
par Didier Arnaud
publié le 18 mars 2022 à 1h09
(mis à jour le 19 mars 2022 à 8h06)

C’est le journaliste Edouard Zambeaux, cofondateur de la ZEP (Zone d’expression prioritaire) et fondateur de Périphéries.fr qui parle : «Emmanuel Vaillant et moi avons constaté que nombre de personnes étaient dans l’angle mort de la représentation médiatique. On souhaitait les accompagner pour qu’elles soient légitimes. A l’époque, il travaillait pour l’Etudiant et j’étais producteur d’une émission sur France Inter. Nous avons monté cette structure qui accompagne 2 000 jeunes dans l’écriture de récits personnels incarnés, qui racontent une réalité quotidienne, un projet d’éducation populaire. Par petites touches, on arrive à raconter une époque, l’histoire de quartiers, la scolarité, l’éveil amoureux, les questions de genre, la ruralité… Cela dresse le tableau d’une époque et d’une génération. Il y a cette volonté de créer un précédent émancipateur, en même temps que de reprendre le contrôle de sa propre narration.»

Edouard Zambeaux évoque les réticences et les craintes face à l’écriture ; comment beaucoup de jeunes se sentent illégitimes, pensent n’avoir «rien à dire», que leur histoire «n’intéresse personne», qu’ils ne seront pas capables de la raconter… Pourtant ce sont de grands moments, ces «trois heures de bus à faire pour aller à l’école», ce village où il n’y a aucun loisir… Des récits (à retrouver sur le site de «Libération» et chaque mois en double page dans le journal papier) qui peuvent narrer le cycle de vie d’un frigo, un changement de prénom ou encore des histoires de violences intrafamiliales ou policières. C’est, conclut Zambeaux, «un thermomètre branché sur une génération qui nous permet de percevoir des signes faibles».

«Sentiment de satisfaction et d’incrédulité»

Le journaliste travaille avec des lycées et Ecoles de la 2e chance, des centres sociaux, mène des projets d’écriture et de radio en prison. Ses ateliers d’écriture sont ouverts de 13 à 91 ans, des quartiers Nord de Marseille à l’Auvergne. L’an dernier, un livre est paru, Vies majuscules, Autoportrait de la France des périphéries. Les jeunes qui participent éprouvent au finale un «sentiment de satisfaction et d’incrédulité : se retrouver dans le journal, narcissiquement, c’est assez reconstructeur, cela fait du bien en termes d’estime de soi». Récemment, une jeune fille s’est fait embarquer après une manifestation et a raconté ses dix-huit heures de garde à vue. «Ils se rendent compte que la petite histoire en raconte une plus grande. Cela libère les gamins, permet l’éclosion de récits. Par petites touches on éclaire l’époque. Par exemple, la violence de la réforme scolaire, on l’a très vite vue dans les récits des gosses qui ont l’impression de jouer leur avenir, chaque année, avec des choix sans retour. L’incompréhension face à Parcours Sup est majeure». Et Edouard Zambeaux de conclure : «On fait de la subversion positive. On ne sait pas quand la plante fleurit mais on essaie de planter la graine.»

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