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Analyse

Les banques tentées par le « toujours plus vite »

Le mouvement est parti des salles de marché. Il touche désormais le moindre compte bancaire. Le secteur s'est lancé dans une accélération généralisée de ses services, ce qui ne va pas toujours sans peine. Mieux vaut s'assurer que les clients sont réellement prêts pour ces évolutions.

Pour les banques, le facteur « temps » est devenu aussi important que la réalisation d'une opération en tant que telle.
Pour les banques, le facteur « temps » est devenu aussi important que la réalisation d'une opération en tant que telle. (Pascal Garnier pour «Les Echos»)

Par Édouard Lederer

Publié le 18 mars 2022 à 08:01Mis à jour le 3 avr. 2022 à 21:47

Une sanction très médiatique : cette semaine, sept banques russes devaient être « débranchées » du système de messagerie Swift . Cette mesure aura pour effet d'empêcher ces établissements de recevoir des virements, ou d'en réaliser. Plus précisément, ces opérations resteront possibles, mais elles seront ralenties à l'extrême.

Car Swift n'est pas un système de paiement en soi, mais plutôt une messagerie qui permet à 11.000 banques dans le monde de se reconnaître en un clin d'oeil et donc de pouvoir faire affaire en toute confiance. Sans cet outil, les banques visées vont sans doute devoir s'échanger de simples e-mails ou même des fax… si toutefois la machine est bien toujours en état de marche.

Swift n'est pas un système de paiement en soi, mais plutôt une messagerie qui permet à 11.000 banques dans le monde de se reconnaître en un clin d'oeil et donc de pouvoir faire affaire en toute confiance.

C'est une illustration par l'absurde que pour les banques, le facteur « temps » est devenu aussi important que la réalisation d'une opération en tant que telle. Cela s'observe depuis longtemps dans les salles de marché - où les traders se battent pour passer un ordre avant les autres - mais cet impératif s'étend à présent jusqu'à la banque du quotidien.

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Quels sont les nouveaux métiers touchés par cette accélération du temps ? Et cela va-t-il vraiment créer de la valeur pour les clients et pour les banques ?

Un cocktail d'innovation et de rentabilité

Pour le comprendre, un détour par les salles de marché s'impose : les stratégies de « trading à haute fréquence » (THF) ont prospéré grâce à un cocktail d'innovation et d'opportunité financière.

Côté technique, les ondes radio, complétant la fibre optique, ont provoqué une accélération des transmissions de données, permettant aux traders de gagner quelques précieuses millisecondes. Qui, en fonction des stratégies suivies, permettront de réaliser des plus-values. Si la pratique n'est pas interdite, elle est toutefois surveillée par les régulateurs qui veulent éviter d'éventuels abus.

Ainsi, l'accélération du temps réunit ici trois composantes qui vont se retrouver dans tous les métiers touchés : les technologies permettant cette accélération, son intérêt sur le plan de la rentabilité, et enfin son « utilité sociale », ce qui donne lieu à la vigilance plus ou moins rapprochée des autorités financières.

Appliquées à M. et Mme Tout-le-monde, ces tendances touchent tout d'abord au paiement : depuis 2017, « l'instant payment » permet, comme son nom l'indique, d'effectuer un virement entre deux comptes bancaires quasiment en direct .

Depuis 2017, « l'instant payment » permet, comme son nom l'indique, d'effectuer un virement entre deux comptes bancaires quasiment en direct .

Dans le format classique, l'argent transféré est certes immédiatement débité par la banque… mais il peut mettre plus longtemps à arriver à destination, ce qui peut générer beaucoup d'angoisse, pour le débiteur comme pour le destinataire. L'utilité sociale pose dans ce cas peu de doute, mais cela génère-t-il vraiment un nouveau modèle économique ?

Pas forcément. Un peu maladroitement certains établissements facturent ce virement instantané, un euro par opération. De quoi donner le sentiment que le dispositif de base est un peu obsolète. Plus que des nouveaux revenus, les établissements vont en réalité générer une nouvelle accélération des comportements : pour les consommateurs l'instantanéité n'est pas un service plus qui mériterait d'être facturé, mais tout simplement une nouvelle normalité, liée à la digitalisation des services.

Limiter les risques de surendettement

Cette nouvelle normalité s'observe déjà dans les applis bancaires, qui permettent de gérer son compte en direct : il peut s'agir par exemple de modifier d'un simple clic un plafond de dépense, ou de suspendre l'utilisation d'une carte que l'on aurait égarée - plutôt que d'y faire opposition.

En répondant - mais aussi en créant - ce besoin d'instantanéité, les établissements se rendent aussi service, en se déchargeant de tâches administratives, tout en concentrant leurs conseillers bancaires sur du temps commercial.

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En répondant - mais aussi en créant - ce besoin d'instantanéité, les établissements se rendent aussi service, en se déchargeant de tâches administratives.

Encore un cran plus loin, cette accélération touche aussi le crédit aux particuliers. Le crédit à la consommation a logiquement été le premier concerné puisque le financement doit se dérouler dans le magasin (ou sur le site marchand) de façon fluide, afin que la vente (d'un lave-linge, d'un canapé ou d'une automobile…) puisse bien se conclure. Les technologies de signature électronique (sur tablette notamment) et plus récemment de paiement fractionné (« BNPL ») permettront d'emprunter des sommes plus petites, sur des durées plus courtes, sachant que là aussi, le régulateur aura bientôt son mot à dire, pour limiter les risques de surendettement.

Le coup de frein viendra peut-être… du consommateur

Sur le papier, le mouvement pourrait désormais s'étendre au produit phare de la banque de détail : le crédit immobilier . Déjà certaines fintechs prétendent être capables de déterminer en quelques minutes un « scoring » de risque, ce qui permettrait de donner immédiatement une réponse de principe à un candidat emprunteur.

Prenons ici le pari que dans ce cas, le temps restera… lent. D'abord pour des raisons internes à la banque : instruire un dossier de crédit, prendre formellement la décision de prêter ou non, débloquer les fonds, ouvrir un nouveau compte pour le client, gérer les priorités entre les emprunteurs, potentiellement vendre simultanément une assurance emprunteur sont autant de couches que la banque empile pour « fabriquer » un crédit. Démêler un tel écheveau reste une gageure, quels que soient les progrès techniques.

Le coup de frein, surtout, pourrait venir de l'emprunteur lui-même : décider sur un coup de tête d'acheter à crédit un ordinateur, c'est une chose. Mais s'endetter en quelques minutes pour quinze ou vingt ans reste encore bien improbable. Dans ce cas, c'est bien à la banque d'épouser le temps du client, et non l'inverse.

Edouard Lederer

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