► « Mieux étaler les apprentissages sur le temps annuel »

Jean-Paul Delahaye, ex-directeur général de l’enseignement scolaire

« Personne ne peut contester de bonne foi que la France a un problème avec ses rythmes scolaires. En primaire, nous avons le dispositif le plus nuisible de la planète : sauf exception, des journées de six heures concentrées sur quatre jours hebdomadaires, pour un total annuel d’environ 140 jours, là où la moyenne européenne se situe entre 180 et 190 jours. Même chose au lycée, où l’emploi du temps est sans doute le plus chargé au monde en cours et en options mais avec très peu d’aide au travail personnel et à la méthodologie.

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Alors, oui, avec celles de la journée et de la semaine, la durée des vacances d’été peut faire partie de la réponse, même si la France est loin d’avoir celles les plus longues en Europe. Il importe de mieux organiser les apprentissages sur le temps annuel, tout en allégeant le rythme journalier et en revenant à une cinquième matinée de classe en primaire.

Ce faisant, il faut veiller à ne pas compartimenter le temps scolaire, à ne pas programmer uniquement le matin des apprentissages « sérieux » et l’après-midi des activités « ludiques » (sports, culture, nature). Il faut au contraire rééquilibrer ces différentes séquences tout au long de la journée.

Il ne s’agit pas non plus d’augmenter le temps consacré aux savoirs fondamentaux. La France est le pays qui consacre le plus de temps à la lecture et à l’écriture en primaire (37 %, contre 25 % en Espagne ou en Finlande). Il ne faut pas en faire davantage mais faire mieux, par exemple en intégrant – ce que font déjà beaucoup d’enseignants – les maths et le français dans des activités très variées.

ANALYSE. Entre résultats scolaires et durée des vacances, un lien pas aussi clair que l’affirme Yannick Jadot

Raccourcir les vacances d’été pourrait présenter l’avantage d’une moindre déperdition des savoirs, notamment pour les élèves qui partent peu ou pas et qui se trouvent souvent moins stimulés intellectuellement pendant les congés. Travailler à de meilleurs rythmes scolaires pourrait aussi redonner du sens au métier d’enseignant. Mieux répartir le temps scolaire sur l’année, ce serait aussi plus d’occasions d’apprendre à vivre ensemble.

Yannick Jadot a le courage de s’attaquer aux temps scolaires, alors que peu de candidats évoquent le sujet. Mais l’erreur, ce serait de laisser penser qu’on va le faire en aggravant les conditions de travail et – ce n’est pas son cas – de n’aborder la question qu’à travers le prisme des vacances. Car ce serait monter la société contre des enseignants qui sont, depuis trop longtemps, maltraités, déconsidérés, dévalorisés. Certains pourraient sauter sur l’occasion pour se livrer à un « profbashing » insupportable et injuste. Repenser les rythmes ne peut donc intervenir qu’après une remise à niveau de leur rémunération et de leurs conditions de travail.

→ LES FAITS. École : comment les rythmes scolaires ont varié au fil des réformes

La question est d’autant plus complexe que d’autres paramètres entrent en ligne de compte : les enjeux pour le secteur du tourisme, qui joue un rôle non négligeable dans notre économie, ou encore la volonté des familles recomposées de passer du temps avec leurs enfants. »

► « Une erreur de communication vis-à-vis des enseignants »

Catherine Nave-Bekhti, enseignante et secrétaire générale du syndicat Sgen-CFDT

« La durée des vacances scolaires n’est pas une question taboue. Mais elle n’est pas la bonne porte d’entrée dans une réforme du système éducatif. Dans l’entretien à La Croix, Yannick Jadot propose certes une conférence de consensus consacrée à l’école. Mais à suggérer d’emblée, avant même d’avoir engagé le débat, un allongement de l’année scolaire, il heurte beaucoup de mes collègues et commet une erreur de communication.

→ EXPLICATION. École : comment les rythmes scolaires ont varié au fil des réformes

D’une part, cette proposition entretient la confusion entre vacances scolaires et congés des personnels. Or une enquête de la Depp, le département des statistiques de l’éducation nationale, montre que les professeurs travaillent, en moyenne, huit jours durant l’été pour préparer leurs cours.

D’autre part, si elle devait avoir lieu, cette discussion devrait impérativement s’accompagner d’une réflexion poussée sur les conditions de travail, qui n’ont cessé de se dégrader. Dans le premier degré, les missions (accompagnement des élèves, inclusion scolaire, etc.) se sont multipliées sans qu’on donne pleinement aux professeurs les moyens de les mener à bien. Dans le second degré aussi, on a densifié le travail, entre autres en recourant massivement aux heures supplémentaires. Conséquence : beaucoup d’enseignants ont le sentiment de courir après le temps et se fatiguent très vite, de plus en plus tôt dans l’année.

→ ANALYSE. Y a-t-il trop de vacances scolaires ?

Yannick Jadot promet, il est vrai, 65 000 nouveaux postes. Mais pour quoi faire ? Ces renforts suffiront-ils à améliorer les conditions d’exercice du métier ? Les 60 000 emplois créés sous Hollande n’avaient pas entraîné de changement significatif…

Le candidat écologiste annonce aussi une revalorisation salariale, à hauteur de 20 %. Mais on ne saurait abandonner une partie de nos vacances en échange d’une telle hausse. Parce qu’elle ne constitue qu’un rattrapage, parce qu’elle compenserait à peine la perte de pouvoir d’achat accumulée par les professeurs au cours des deux ou trois dernières décennies.

Trop souvent, la société et nos gouvernants, voire une partie des collègues, considèrent que la faible paye des enseignants a pour pendant de longues vacances. Mais ce n’est pas ainsi que s’est construite, historiquement, la rémunération des professeurs.

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En tout cas, évoquer de but en blanc une possible réduction des vacances d’été, c’est méconnaître les réalités du métier, avec toute une partie du travail qui s’effectue de façon invisible. C’est aussi adresser un message désastreux en termes d’attractivité, alors même que l’on a tant de mal à attirer des candidats aux concours, à pourvoir les postes, à remplacer les professeurs absents.

À mes yeux, la question des vacances ne peut être abordée que si elle va de pair avec une plus grande efficacité de l’école au service des élèves et des temps de travail beaucoup moins denses tout au long de l’année pour les personnels. »