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Interview

Education: «Le modèle de Macron, c’est celui de l’enseignement privé»

Macron réélu pour un second mandatdossier
Lors de la présentation de ses propositions pour un éventuel second quinquennat jeudi, le président-candidat a annoncé vouloir adapter la rémunération des enseignants à leurs missions. Un serpent de mer des programmes libéraux qui traduit une méconnaissance de la profession, selon la sociologue Françoise Lantheaume.
par Elsa Maudet
publié le 19 mars 2022 à 7h32

L’antienne sarkozyste est assumée : si les enseignants veulent gagner plus, ils devront travailler plus. Lors de la conférence de presse présentant ses principales propositions pour un éventuel second quinquennat, jeudi, le candidat Emmanuel Macron a déclaré qu’il y aurait «plusieurs systèmes de rémunération des enseignants», en fonction des missions supplémentaires qu’ils accepteraient d’assumer : remplacement, dans le second degré, de collègues absents, travail sur le temps périscolaire, accompagnement plus individualisé… Une implication qui serait, à l’en croire, la clé d’une meilleure performance du système éducatif français. La sociologue en sciences de l’éducation et de la formation Françoise Lantheaume, professeure des universités émérite à Lyon 2, revient sur ce vieux fantasme de la rémunération des profs au mérite.

L’idée de rémunérer les enseignants en fonction de leur implication dans l’école est-elle neuve ?

Non, ça remonte aux années 80. C’est un serpent de mer de tous les programmes libéraux. C’est très étonnant de voir des discours qui reviennent et associent salaire et réussite. Ça montre une méconnaissance profonde de ce qu’est le travail des enseignants et, d’une façon générale, le travail. Tous les travaux sur le sujet montrent que l’engagement de la personne n’est pas indexé sur le salaire, même si c’est une dimension de reconnaissance.

Les enseignants se plaignent du fait que leur salaire soit insuffisant, à juste titre car c’est une catégorie A qui n’est pas payée pas au niveau d’une catégorie A. Quand on compare au privé, ça n’a rien à voir et ça contribue au manque d’attractivité du métier. Mais ce qui fait le sens de leur travail, c’est la réussite des élèves. Et ce qui fait leur malheur, c’est le sentiment d’être empêchés de les faire réussir. Ils se disent : «C’est non seulement faux, mais c’est aussi insultant.»

Pourquoi cette proposition, à laquelle tiennent tant les libéraux, n’a-t-elle pas été mise en place jusqu’ici ?

Il y a peut-être un petit peu de sagesse qui touche les dirigeants une fois qu’ils sont élus. Peut-être aussi la prise de conscience de ce qui se passe là où est appliquée cette espèce de nouvelle norme de management public qui associe salaire et résultat. Dans les pays où c’est appliqué [Etats-Unis et Royaume-Uni, ndlr], ça ne marche pas, ça ne produit pas de meilleurs résultats.

En quoi cette proposition vous semble-t-elle déconnectée des réalités du terrain ?

Je ne comprends même pas le réalisme de la proposition. Le problème vient de la confusion entretenue par les responsables politiques et administratifs, mais aussi, malheureusement, pendant longtemps par les syndicats, entre le temps de service et le temps de travail. Les gens confondent le temps passé en face-à-face avec les élèves et le temps de réelle activité des enseignants. Les professeurs travaillent souvent au-delà de 40 heures par semaine, les enquêtes de la Direction générale de l’enseignement scolaire [Dgesco] l’ont montré. Dans ce cas, travailler plus, ça veut dire quoi ? Les faire travailler 45 heures par semaine ? Là, c’est une question de droit du travail.

A votre avis, quelle école souhaite Emmanuel Macron ?

Son discours correspond à une vision libérale très classique des écoles passablement dérégulées mais gérées autoritairement. Le ministère Blanquer a connu une inflation de textes réglementaires d’un côté, mais d’un autre, on n’arrête pas d’avoir cette injonction à l’autonomie des enseignants. Il y a une contradiction que le système gère très mal. Je pense que le modèle profond d’Emmanuel Macron, aussi fort pour lui que le modèle anglo-saxon, c’est celui de l’enseignement privé, avec des établissements qui recrutent, une large fraction de personnels précaires, un poids plus important des normes locales à travers un projet d’établissement local, des régulations qui se font surtout par le marché.

Electoralement, quel est le but de tout ça ? Séduire les parents et tant pis pour les profs ?

[A la fin des années 90, le ministre de l’Education Claude] Allègre a voulu jouer les parents contre les enseignants, mais c’est une stratégie en général perdante. S’il y a des tensions et des contradictions entre parents et enseignants, c’est là où l’élève va être le plus mis à mal, donc il faut viser tout ce qui crée la coopération entre les familles et l’école. Je ne suis pas politiste, mais je pense qu’il s’agit surtout pour Emmanuel Macron d’augmenter le nombre de sa clientèle à droite, dans une concurrence avec Madame Pécresse.

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