En 2001, quand elle est née, c’était un ovni juridique, à mi-chemin entre l’association et l’entreprise, avec des bénéfices limités et des collectivités locales à son capital, au côté des salariés, des clients, des fournisseurs… (rassemblés dans des collèges de voix). Vingt ans plus tard, la société coopérative d’intérêt collectif (scic), qui fait partie du mouvement coopératif, a grandi et fait ses preuves : plus d’un millier d’entreprises ont choisi ce statut, et suscitent particulièrement l’intérêt auprès des jeunes générations en quête de sens dans leur vie professionnelle et motivées par la recherche de solutions économiques à la crise environnementale et sociale.

Le statut a pourtant mis du temps à décoller. En cause : sa complexité juridique (simplifiée par la loi sur l’économie solidaire de 2014) ; le besoin de temps pour se faire connaître auprès des spécialistes de la création d’entreprise ; et une envie d’entreprendre en collectif qui ne s’est déployée que récemment. Mais en cinq ans, le nombre de scic a doublé.

Mathieu Castaings est bien placé pour en parler. Expert-comptable à Bayonne, il a créé la scic Finacoop, qui aide des coopératives… à se structurer. « Avec une lucrativité limitée et des salaires encadrés, on bouscule les entreprises classiques qui recherchent le profit à tout prix alors que dans une scic, l’argent est un moyen au service de l’intérêt collectif : celui de nos trente salariés, de nos clients et des lieux où nous vivons », explique le trentenaire. Finacoop compte déjà des antennes à Paris, Bordeaux et Rennes et incite de plus grandes structures à se transformer en scic, pour une visibilité encore plus grande.

Dans cet esprit, Finacoop est devenue l’expert-comptable des Licoornes (1), ces scic engagées dans la transition écologique et les outils numériques : Enercoop, qui fournit de l’électricité verte ; Railcoop, une alternative aux opérateurs ferroviaires ; ou Citiz, un réseau d’autopartage de véhicules… « Comme de nombreuses scic, nous essayons de mettre en place des solutions locales, au bénéfice des habitants et de l’environnement », affirme Jean-Baptiste Schmider, président de la fédération Citiz et créateur de la première scic de mobilité douce à Strasbourg. « La scicest une troisième voie entre le public et le privé, qui intègre la participation des citoyens et une finalité d’intérêt général. »

Ce sont bien les particuliers qui accompagnent les scic, en prenant des parts de capital. Un choix citoyen car ces parts ne sont pas, ou très peu, rémunérées. Elles intéressent donc peu les investisseurs privés, au contraire des villes et des régions, qui y voient de nouveaux vecteurs pour la création d’emplois. Ainsi, au moins une collectivité est sociétaire de chacune des huit scic du réseau Citiz. Pour renforcer leurs moyens, les Licoornes lancent des appels à souscription sur leur site commun.

Créée en 2016, Label Emmaüs est une de ces Licoornes, qui illustre l’intérêt des mouvements chrétiens pour les coopératives. Cette plateforme numérique permet à des structures de l’économie solidaire – groupes Emmaüs, mais aussi Croix-Rouge ou Envie – de vendre aux particuliers des produits d’occasion. Les bénéfices, issus des commissions versées par ces vendeurs, sont reversés intégralement dans la scic pour mener à bien sa mission sociale et développer d’autres projets. « La scic nous permet de conserver nos objectifs prioritaires d’insertion des personnes en difficulté, souligne Maud Sarda, cofondatrice de Label Emmaüs. On aurait pu créer une société commerciale, mais notre mission d’utilité sociale en aurait été affectée. »

La même volonté de partager autrement les richesses créées a poussé les Ateliers du bocage, un groupe Emmaüs, à se ­transformer en scic il y a huit ans. Cette ancienne association compte aujourd’hui 175 salariés, dont beaucoup de personnes handicapées ou ex-chômeurs, pour 14 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021 – elle reconditionne et revend des ordinateurs et des téléphones.

« Nous avons des actionnaires vertueux, insiste Antoine Drouet, directeur des Ateliers du bocage. Ce sont une quarantaine de groupes Emmaüs, nos salariés, le conseil régional Nouvelle-Aquitaine. Ils garantissent notre projet social et environnemental. Choisir une forme d’entreprise, plutôt que rester en association, nous a donné de nouvelles opportunités. Mais nos actionnaires restent attentifs à un développement patient. Nous ne prenons pas de nouveaux contrats s’ils ne créent pas d’emplois. »

Plusieurs entreprises du Relais, qui collectent du textile pour Emmaüs, ont aussi choisi la forme coopérative. Et un autre mouvement chrétien s’est intéressé de près à la puissance démocratique de la scic : la fédération Habitat et Humanisme, fondée par le père Bernard Devert, pour remettre de l’habitat mixte au cœur des villes. Sa filiale, Habitat et Humanisme Soin, gère une cinquantaine d’Ehpad en France, dont celui de Versailles, transformée en scic il y a dix ans avec les services sociaux. « La coopérative permet de mettre des garde-fous dans la gestion de l’Ehpad, assure Corinne Bébin, référente pour Habitat et Humanisme Soin. Nous sommes partis des besoins des personnes pour rester accessibles à tous (prix de journée fixé à 75 €). Et un conseil de gestion accueille des représentants des patients et de leurs familles. » Tous les salariés de l’Ehpad ont validé le projet.

Les scic ont du succès dans le sanitaire et social, l’insertion ou la transition écologique, mais pas seulement. Le club de football de Bastia est ainsi devenu une scic, comme l’antenne lyonnaise de Presstalis, devenue Oyé ! Distribution, qui distribue la presse nationale. La députée Anne-Laurence Petel (LREM) vient de déposer une proposition de loi favorable aux scic, pour qu’elle débouche durant le prochain quinquennat. « C’est une forme d’avenir, souligne-t-elle. Elle répond à des enjeux locaux en impliquant les citoyens dans les politiques publiques, et à des objectifs nationaux, comme la lutte contre le dérèglement climatique et l’insertion. »

(1) Terme en référence aux Licornes, ces entreprises de la Tech ainsi surnommées lorsqu’elles atteignent un milliard de dollars de capitalisation.