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Interview

«Toutes les politiques menées contribuent au discrédit des lycées professionnels»

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Pour la sociologue Fabienne Maillard, professeure des universités à Paris-VIII, la voie professionnelle a permis une réelle ascension sociale à certains jeunes jusqu’aux années 60, avant de devenir une voie de garage pour élèves en difficulté.
par Elsa Maudet
publié le 28 mars 2022 à 4h08

Spécialiste de l’enseignement professionnel, la sociologue Fabienne Maillard, professeure des universités à Paris-VIII, revient sur son évolution, depuis sa création dans le but de former des ouvriers-citoyens jusqu’à son utilisation comme une voie de relégation d’élèves en difficulté qu’il faut scolariser jusqu’à leurs 16 ans.

Pour quelle raison et dans quel contexte la voie professionnelle a-t-elle été créée ?

Elle est créée à la fin du XIXe siècle pour répondre à des besoins économiques. Après deux révolutions industrielles, on a besoin d’ouvriers, de contremaîtres, d’employés qualifiés, et il y a de grandes pénuries de main-d’œuvre qualifiée. C’est aussi une initiative de l’Etat pour permettre une professionnalisation associée à des savoirs généraux et à une culture générale. Il y a une ambition humaniste de l’Etat pour éviter que seuls les patrons forment la main-d’œuvre, pour que les futurs travailleurs puissent aussi être des citoyens, pas seulement des producteurs.

Comment a-t-elle évolué ?

Jusque dans les années 60, c’est une voie sélective, malthusienne, dont les diplômés accèdent facilement au marché du travail et peuvent faire de vraies carrières ascendantes – certains sont devenus ingénieurs à l’époque des Trente Glorieuses. Et puis, à la fin des années 50, au début des années 60, elle est intégrée dans le système scolaire, elle perd son autonomie et devient une voie de relégation pour les élèves indésirables de la voie générale. En même temps, elle contribue à la massification de l’enseignement secondaire : les responsables politiques y mettent tous les jeunes qui ont des comportements un peu difficiles, des difficultés scolaires, et qu’il faut maintenir dans la scolarité jusqu’à 16 ans.

Les politiques de tous bords affichent souvent leur volonté d’en faire une «voie d’excellence». Ce sont de belles paroles ?

Toutes les politiques menées contribuent au discrédit de la voie professionnelle depuis très longtemps. Le brevet d’études professionnelles (BEP) a par exemple disparu récemment [l’an passé, ndlr], alors que c’était le diplôme le plus important. Les responsables n’ont pas de politique continue dans la voie professionnelle et l’instrumentalisent beaucoup dans la gestion des flux scolaires.

La voie professionnelle est-elle en adéquation avec les besoins du marché ?

Les diplômes sont construits avec les partenaires sociaux, donc on ne peut pas reprocher au ministère de l’Education nationale la manière dont ils sont conçus. Néanmoins, selon les responsables politiques, la prise en compte des discours des partenaires sociaux est inégale et la question de la gestion des flux [d’élèves] peut supplanter les objectifs de hausse du niveau de qualification. Le moins coûteux pour les régions et l’Etat, c’est le tertiaire (administration, commerce…), donc on y met énormément d’élèves. Mais ce sont des élèves qui n’ont pas forcément choisi d’être là et qui ne sont pas forcément attendus sur le marché du travail. Des tas de jeunes filles sont envoyées en secrétariat parce qu’il n’y avait plus de place dans la formation qu’elles voulaient. Il y a des formations très ambitieuses qui permettent d’accéder à l’emploi facilement, et d’autres moins. C’est très inégal.

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