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Paris, France le 2 mars 2022 : Reportage au sein du Club House du 19eme arrondissement de Paris. Un clubhouse est un lieu de vie créé pour et avec des personnes fragilisées par les effets de troubles psychiques dans le but de faciliter leur socialisation et leur réinsertion professionnelle. Sur l’image c’est un atelier CV, les membres du Clubhouse simulent une embauche à venir et doivent sélectionner le bon candidat pour le poste en consultant de nombreux CV. Tout les participants à l’atelier sont volontaires et ces échanges leur permettent de se perfectionner dans leur propre recherche d’emploi.
BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »

Les Clubhouses aident les personnes atteintes de troubles psychiques à rebondir

Par 
Publié le 29 mars 2022 à 08h01, modifié le 29 mars 2022 à 08h02

Temps de Lecture 6 min.

Une odeur de gâteaux flotte dans la cuisine rouge brique du Clubhouse. Cet établissement, situé dans le 19e arrondissement de Paris, aide des personnes fragilisées par un trouble psychique – qui participent à la bonne gouvernance du lieu – à repartir dans la vie. Bipolarité, schizophrénie, dépression, TOC (troubles obsessionnels compulsifs), TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité)… Quel que soit leur handicap invisible, tous les membres présents ce matin-là trouvent ici un havre de paix et de bienveillance.

Brahima et Valérie (au second plan) servent les assiettes des convives directement à table. Paris, le 2 mars 2022.

Olivier, 51 ans, fait partie des habitués : « Je viens depuis deux ans », confie-t-il. L’ancien comptable traverse la cuisine pour rejoindre la réunion matinale, dans le grand espace de vie attenant. Il écoute avec attention Rahima ouvrir la séance, puis Judith faire la lecture de l’une des trente-sept règles de vie, avant le tour de table général où chacun se présente, dit (ou pas) comment il se sent, et s’apprête à choisir une activité : préparation du repas, vaisselle, standard ou encore atelier CV. Aujourd’hui, Olivier propose ses services pour l’accueil. Chaque activité est notée, heure par heure, sur l’immense tableau blanc qui couvre un pan de mur entier. « Avant de me trouver un emploi, il me faut un emploi du temps », lit-on en surplomb. Une phrase de Karim, l’un des membres du Clubhouse, qui révèle l’esprit du lieu, où sont poursuivis des objectifs personnels autant que professionnels.

Olivier, membre du Clubhouse, le 2 mars 2022 à Paris.

Olivier fait partie des 500 membres régulièrement accueillis au Clubhouse parisien contre une adhésion annuelle de 20 euros. « Ce lieu non médicalisé se différencie de beaucoup d’autres structures, qui placent souvent les malades d’un côté et les soignants de l’autre. Ici, tout fonctionne en cogestion avec les six personnes de l’équipe, de manière horizontale », explique Elsa Abecassis, directrice du développement du réseau France. La condition pour être admis : « Etre âgé de plus de 18 ans, reconnaître sa pathologie et pouvoir justifier d’un suivi thérapeutique par un psychiatre ou un psychologue. Et surtout, avoir envie de venir », explique-t-elle.

Climat de bienveillance

L’intégration se fait au terme d’une journée de découverte et d’une période d’observation d’une durée variable selon les personnes. Olivier n’est plus en activité professionnelle depuis plusieurs années et bénéficie d’une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). S’il ne souhaite pas repartir en entreprise pour le moment, par crainte du stress, il peut passer l’équivalent d’un temps plein chaque semaine au Clubhouse et s’apprête à faire un stage à Vivre FM, radio associative consacrée au handicap. « Je vais mieux depuis que je m’implique plus ici, assure-t-il. Le rythme de la semaine est bien structuré et comme dans le cadre d’un vrai job, je suis fatigué le soir, je dors bien. »

Le coin pour les petites annonces du Club, Paris le 2 mars 2022.

Le Clubhouse aide à relever le défi du rétablissement en s’impliquant dans le fonctionnement du lieu, ce qui leur donne un sentiment d’utilité. Le climat de bienveillance favorise aussi l’estime de soi. De quoi renforcer le lien social et faciliter le retour à l’emploi ou le maintien en poste. Autre outil-clé : « la pair-aidance, un concept en plein essor en France, qui repose sur un tandem entre deux membres, de manière à développer l’entraide et la responsabilité. Car prendre soin de l’autre, c’est prendre soin de soi », explique Lucie Caubel, cofondatrice du salon Hello Handicap et membre du conseil d’administration de l’Association Clubhouse France. Olivier est justement en train de motiver son binôme pour une sortie au Louvre : « C’est intéressant, cela nous donne un objectif dans la semaine en plus du Clubhouse… et c’est gratuit. » Détail important, car beaucoup de membres ne perçoivent que leur pension d’invalidité.

Implantée depuis 2010 en France, avec pour président fondateur Philippe Charrier (qui vient d’être nommé PDG d’Orpea), l’Association Clubhouse s’appuie sur un modèle né à New York en 1948, sous l’impulsion de malades psychiatriques au sortir de l’hôpital. Trois cent vingt-six Clubhouses ont vu le jour depuis, les trois quarts sur le territoire américain et les autres répartis dans trente pays. « Il était temps qu’ils arrivent dans l’Hexagone. Il aura fallu attendre la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, reconnaissant enfin la spécificité du handicap psychique, pour favoriser leur essor », explique Philippa Motte, consultante en entreprise sur la santé mentale et bénévole de la première heure. L’Association Clubhouse France a ainsi ouvert des lieux de vie à Paris, Lyon, Bordeaux, Lille et Nantes, financés notamment par les agences régionales de santé (ARS), l’Agefiph, des collectivités locales, des donateurs privés et des fondations.

Judith, membre du Club, coupe du pain pour le déjeuner à venir. Paris, le 2 mars 2022.
Serge, membre du Clubhouse, le 2 mars 2022 à Paris.

Les entreprises sont-elles prêtes à ouvrir la porte aux personnes en situation de handicap psychique ? « Ce n’est pas toujours gagné, car ce type de handicap est mal connu en France et peut faire peur, explique Philippa Motte. On se méfie à tort du caractère imprévisible des personnes touchées. En réalité, ils ébranlent surtout notre culture du management, qui repose souvent sur l’hypercontrôle et la verticalité. C’est dommage, car les entreprises ont tout à gagner à recruter des profils riches, ayant fait un important travail sur eux-mêmes, et à sensibiliser leurs salariés aux risques psychosociaux », ajoute-t-elle.

Sécurisation de l’emploi

Au fil de ses missions, la consultante a constaté quelques avancées. De plus, « en faisant beaucoup parler de la santé mentale, la crise du Covid-19 commence aussi à faire bouger les lignes », observe Philippa Motte. Concernée personnellement par un trouble, elle s’est libérée du tabou sur les problèmes psychiques grâce au Clubhouse. Depuis, elle a fait de la maladie une force et un outil de connaissance de soi pour se réorienter comme consultante, coach et auteure. Pour Lucie Caubel, « la loi avenir professionnel, entrée en vigueur en 2020, devrait changer la donne, car elle priorise l’emploi direct des personnes porteuses de handicap, et pousse donc les employeurs à les embaucher. Les Clubhouses sont une précieuse ressource pour tous, les particuliers comme les entreprises », note-t-elle.

Marie-Aude, membre du Clubhouse, le 2 mars 2022 à Paris.

Marie-Aude, 56 ans, peut en témoigner : après avoir été professeure des écoles, démissionnaire en raison de sa bipolarité, elle est assistante administrative à mi-temps dans une paroisse depuis 2019. « Quand je suis arrivée au Clubhouse de Paris, voici sept ans, un traitement avait enfin stabilisé ma maladie et petit à petit, l’idée de reprendre un emploi a fait son chemin. Quand j’ai répondu à l’annonce pour mon poste actuel, mon staff référent m’a préparée aux entretiens d’embauche et s’est assuré que tout se passait bien par la suite. »

Bel exemple de sécurisation de l’emploi. Cela vaut aux Clubhouses la reconnaissance du gouvernement, ce qui leur permet de bénéficier de contrats à impact « Innover pour l’accès à l’emploi », annoncés le 16 mars dernier. « Il faut plus de structures comme celles-ci, en lien étroit avec les plates-formes départementales Emploi Accompagné, afin d’assurer une égalité de chances et de traitement sur tout le territoire, affirme Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, interrogée le 11 mars. Le gouvernement entend donc soutenir le développement de ce modèle dans le cadre d’appels à projets nationaux, en renforçant les financements existants et par la création prochaine de cinq nouveaux Clubhouses. »

Cet article a été réalisé dans le cadre de la 3e édition de l’Université du Réseau des référents handicap, en partenariat avec l’Agefiph.

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