"C’est ma sœur qui a passé l’épreuve de maths à ma place, le contrôle d’identité était très léger"; "mon père s’est placé dans l’angle mort de la caméra et m’indiquait avec ses doigts les réponses de culture générale"; "j’ai réussi à vérifier des réponses avec mon téléphone caché sous la caméra de mon ordinateur"…Depuis une semaine, les témoignages de fraude aux concours d’écoles de commerce Accès et Sésame fleurissent sur les réseaux sociaux ou à la sortie des lycées, tandis que les boucles WhatsApp de parents d’élèves de terminale s’affolent. "La moins bonne élève de notre classe a eu l’écrit de l’Iéseg, l’école la plus exigeante, alors qu’on se demande encore si elle va avoir le bac", s’énerve un groupe d’élèves de terminale à la sortie du lycée, qui liste toute la méthodologie pour contourner les systèmes anti-triche des concours.
Les épreuves écrites se sont déroulées jeudi 7 et mercredi 13 avril. Ces banques de concours permettent d’accéder à une vingtaine d’écoles post-bac, comme l’Iéseg ou l’Essca. Des business schools qui requièrent un bon niveau en terminale. Pour les familles, l’investissement est lourd. Outre la préparation, la scolarité est très chère: l’Iéseg, en tête du classement post-bac Challenges dans cette catégorie, affiche une scolarité à 58.500 euros. A ce prix, les familles peuvent s’attendre à ce que la sélection soit irréprochable.
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Tous les concours d'Etat en présentiel
Pour la deuxième année consécutive, Accès et Sésame ont arbitré en faveur d’épreuves à distance, alors que la quasi-totalité des concours d’Etat et de grandes écoles se déroulent cette année en centres d’examen. "Nous préparons ces épreuves un an à l’avance et ne voulions pas prendre de risque dans le contexte sanitaire incertain", justifie Christelle Garon, directrice du développement de Sésame. Mais en ne proposant quasiment exclusivement que des QCM en ligne, à la maison, les deux concours s'exposaient à des tentatives de fraude. Et même si les propositions de réponses sont aléatoires d’un candidat à l’autre, il est toujours beaucoup plus facile de tricher dans ce type d’examen que lors d’une dissertation ou d'un sujet de réflexion. Ces épreuves sont corrigées par un logiciel qui permet non seulement de faire des économies mais aussi de respecter le calendrier très contraint de Parcoursup.
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20 lycéens exclus à Sésame l'an dernier
Les organisateurs du concours Sésame mettent en avant un protocole strict: la pièce où est installé le candidat est systématiquement filmée pour chaque épreuve, les contrôles d’identité sont répétés et un logiciel, TestWe, identifie le moindre bruit. L’an dernier, 20 lycéens sur 10.580 ont été exclus. "Le lendemain du concours nous avons les résultats mais nous nous laissons encore une quinzaine de jours pour revisionner les videos des candidats et examiner toutes les éventuelles suspicions de fraude", précise Thomas Lagathu, le directeur du concours Sésame qui dispose de 52 millions d’images scrutées par 200 personnes. Le logiciel serait capable de détecter le moindre bruit, y compris les plus insignifiants comme un bâillement ou un chat qui rentre dans la pièce. Chaque son de chaque candidat est codifié et retranscrit aux 200 surveillants qui devront faire la part des choses.
Pas de film de l'environnement du candidat
Les précautions ne sont pas aussi rigoureuses du côté d’Accès. "Nous n’avons pas demandé aux candidats de filmer leur environnement", reconnaît Céline Verdrière, responsable des admissions pour l’Iéseg (Accès) qui dispose de 400 surveillants, pendant l’épreuve réalisée à distance, pour contrôler en direct 6.800 candidats, soit un adulte devant 17 écrans simultanément. Des étudiants qui peuvent donc disposer à l'envi des planisphères sur les murs, épingler des fiches de révision, des frises historiques qui peuvent s'avérer précieux lors des QCM de culture générale. Au total, 203 suspicions de fraude ont été remontées et 27 candidats ont été exclus cette année pour tricherie avérée au concours Accès. "Nous avons épluché 2.000 dossiers sur 6.800 candidats pour voir si leurs notes au concours étaient en adéquation avec leurs notes de terminale", souligne néanmoins Céline Verdière, qui n’exclut pas à l’avenir un recrutement sur dossier.
Ces écoles étant visées et reconnues par l’Etat, Challenges a contacté l’Inspection générale de l’Education nationale (IGEN) pour connaitre sa position sur les modalités de ces concours et notamment le fait qu’Accès n’ait pas demandé cette année de visionner l’environnement immédiat de chaque candidat comme c’est la norme dans la plupart des examens et concours agrées. L’IGEN qui "n’avait pas eu de remontées" à la suite de ces deux concours va "regarder le sujet".
En médecine, le partiel est annulé
En janvier dernier, un peu moins de 300 étudiants en deuxième année de médecine à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yveline ont été suspectés de triche lors d’un partiel organisé à distance sur la base de QCM. "Sur une épreuve tout un groupe a eu 17/20 et a fait les erreurs au même endroit", a indiqué le doyen de l’Université qui n’avait pas d’autres formes de preuves. Mais à face à cette suspicion de fraude, l’Université de Saint-Quentin a tranché: les partiels ont été annulés et reportés pour une nouvelle convocation mais cette fois-ci en présentiel. C’est la réputation de l’Université et de ses diplômes qui étaient en jeu. Ni Sésame, ni Accès ont, à ce jour, pris une décision similaire.