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A moins de 30 ans, ils sont devenus les « plumes » de politiques

Ministres, députés, présidents de région, maires… de nombreux politiques, en poste ou en campagne, font appel à des « plumes », ces professionnels du discours et de l'écriture. Un métier de niche, qui se révèle être un tremplin pour les plus jeunes qui l'exercent.

Quai d'Orsay (2013), un film français réalisé par Bertrand Tavernier. Jeune énarque, Arthur Vlaminck (interprété par Raphaël Personnaz) travaille comme plume au service du ministre des Affaires étrangères.
Quai d'Orsay (2013), un film français réalisé par Bertrand Tavernier. Jeune énarque, Arthur Vlaminck (interprété par Raphaël Personnaz) travaille comme plume au service du ministre des Affaires étrangères. (Pathé Distribution / Etienne George)

Par Camille Wong

Publié le 25 mars 2022 à 13:45Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

A 23 ans, Charline Birault décroche son premier job à l'Assemblée nationale et devient l'attachée parlementaire d'Hervé Pellois, député (divers gauche puis LREM) du Morbihan, poste qu'elle occupera entre 2015 et 2018. Parmi ses rôles, celui de « plume », qui occupe alors un quart de son temps : elle se glisse dans la peau de son élu pour rédiger des discours, des tribunes dans la presse, des notes de synthèse et des éléments de langage.

Pour ceux qui l'ignorent encore, rares sont les politiques à écrire eux-mêmes leurs écrits. Au-delà des discours techniques, politiques ou solennels, les plumes sont également de plus en plus mobilisées sur d'autres contenus rédactionnels comme des articles de blog, des newsletters, des posts sur les réseaux sociaux…

Diplômée en droit public, c'est au départ son intérêt pour la politique qui a conduit Charline Birault vers cette fonction. Depuis, elle s'est lancée en indépendante et a élargi son terrain de jeu aux entreprises, l'autre principal employeur de la profession.

Sur son LinkedIn, la jeune femme, désormais âgée de 30 ans, affiche en premier le terme de « plume » (devant « communication publique », « conseil éditorial » et d'autres). Mais tous ne se retrouvent pas dans ce terme poétique, perçu comme très, voire trop littéraire. Afin de le rendre plus « pro », plus « corporate », certains manient les périphrases comme « conseiller discours » ou « directeur des communications executives » pour ceux qui exercent en entreprise.

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« Métier de niche »

Pendant longtemps, ce métier de niche, solitaire, souvent confidentiel, est resté dans l'ombre, mal compris, voire mal considéré, malgré la passion française pour la rhétorique et l'éloquence . C'est probablement parce qu'il renvoie à l'image d'un sous-traitant (les terribles mots de « nègre littéraire » ou d'« écrivain fantôme » n'ont clairement pas aidé à dorer l'image de cette activité). Comme si cet héritage historique était encore difficile à assumer.

En outre, les « compétences d'écriture restent encore moins valorisées dans notre société que les compétences techniques et scientifiques », estime Anne Pédron-Moinard, ex-plume de l'actuelle maire de Nantes, Johanna Rolland. Et d'ajouter : « En France, il y a cette idée que soit le génie de Victor Hugo nous est tombé dessus à l'école et l'on sait bien écrire, soit l'on est mauvais par nature. »

En réalité, les parcours académiques sont divers ( Sciences Po , diplôme de droit, écoles de commerce…), et les professionnels apprennent leur métier sur le tas, en autodidacte. C'est pour accompagner les plumes en herbe, structurer la profession et les soutenir qu'Anne Pédron-Moinard a créé la Guilde des plumes au début de l'année 2019. Elle rassemble aujourd'hui 80 plumes et permet aussi de faire rayonner ses talents. « Beaucoup de personnes ont l'impression que vous produisez du blabla, comme s'il y avait ceux qui font de la technique et ceux qui mettent en mots. Or, les mots, c'est de la technique », assure-t-elle.

Virgile Billod, conseiller discours de la ministre déléguée chargée de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher de décembre 2020 à novembre 2021, abonde : « Si vous faites une annonce politique mais que vous ne savez pas la présenter, il devient difficile de persuader de son utilité. Dans une démocratie, il faut pouvoir convaincre les citoyens. »

Analyse, synthèse, curiosité

La maîtrise rédactionnelle suffit-elle à être une bonne plume ? « Il faut aimer écrire, bien sûr, mais aussi avoir un sens politique, analyser et synthétiser des sujets », répond Virgile Billod. « L'exercice est difficile, mais c'est aussi un grand privilège car on voit passer quasiment tous les dossiers de la ministre », estime le jeune homme de 27 ans, diplômé de Sciences Po.

Au coeur des cabinets ministériels, les plumes travaillent moins directement avec le ou la ministre, plutôt avec les chefs de cabinet, les directeurs communication mais aussi les experts techniques. « Si vous êtes curieux, cette fonction est une tour d'observation exceptionnelle, où vous travaillez dans un environnement complexe et stratégique », ajoute-t-il. C'est ce qui explique pourquoi son salaire se situe dans la « fourchette haute » des jeunes diplômés de Sciences Po. Dans ce métier, cependant, aucune grille salariale n'existe, tant les montants peuvent varier selon qu'on exerce dans le public, le privé, à Paris ou en régions, en indépendant ou en salarié.

« Défendre, vulgariser »

Au sein des mandats locaux, la proximité est, elle, plus forte avec celle ou celui pour lequel on écrit. Charline Birault travaillait de pair avec son député de Vannes. « On passe beaucoup de temps avec l'élu, que l'on accompagne durant tous ses déplacements », se souvient-elle. En filigrane, elle fait comprendre que l'entente est primordiale, et que l'adhésion à ses valeurs permet de les retranscrire au mieux.

Ce n'est pas un prérequis cependant pour ce métier. « Je connaissais des plumes qui étaient à mi-temps avec un député de droite, puis un de gauche : cela ne leur posait aucun souci d'écrire le même discours, sur le même sujet, mais avec argumentaire différent », sourit-elle. Et d'ajouter : « C'est une fonction qui nous apprend une forme d'humilité. Sur tout ce qu'on écrit, il peut arriver que nous ne soyons d'accord qu'avec 20 % du contenu. » D'ailleurs, sa prédécesseure n'avait pas tenu plus de trois semaines, elle ne « supportait pas d'écrire'je' au nom de quelqu'un d'autre ».

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Se mettre dans la peau d'un politique, c'est aussi être amené à traiter une diversité de sujets, l'autre aspect stimulant de cette profession. Ariane Forgues-Enaud travaille comme attachée parlementaire depuis cinq ans, d'abord au Parlement européen, puis à l'Assemblée nationale.

Un rythme intense

La jeune femme de 28 ans se définit comme un « couteau suisse », dont l'une des activités préférées est celle de plume. Elle écrit pour Caroline Janvier, députée LREM du Loiret, sur le handicap, l'Europe, la géopolitique, l'immigration… « L'intérêt du métier, c'est de pouvoir défendre des positions et vulgariser les enjeux », raconte cette diplômée en affaires européennes à Sciences Po.

En contrepartie, ces professionnels de l'ombre ne chôment pas. En politique, il faut pouvoir être mobilisable à tout moment et suivre l'agenda de son employeur, ce qui implique grande disponibilité et force de travail, parfois tard le soir ou les week-ends.

Sur le terrain, un élu d'une grande ville peut prendre la parole « trois fois par jour au moins, cinq jours par semaine », précise Anne Pédron-Moinard. Et les discours sont rarement recyclables. Il faut s'adapter aux cibles : la prise de parole s'adresse-t-elle aux administrés, à ses équipes, aux médias (si oui lequel, quel est son lectorat, son public) ? « Il faut pouvoir écrire en 24 heures, en 12 heures, voire en 2 heures… On n'a pas deux semaines pour peaufiner », renchérit Charline Birault, selon qui il faut aussi savoir gérer la pression et le stress.

Un job tremplin

La jeune femme se souvient très bien de son tout premier discours, destiné à l'Hémicycle et retransmis à la télévision. « Je n'ai pas pu regarder tellement j'étais stressée, c'était impressionnant de voir sortir mes mots de la bouche de quelqu'un d'autre. J'avais vérifié mille fois tous les chiffres avant, raconte-t-elle. Mon député ne pouvait pas se permettre de se tromper. »

Comme Charline Birault qui travaille désormais avec les entreprises, Virgile Billod, lui, va bientôt rejoindre le privé. « Plume est une très bonne école et un tremplin pour évoluer ensuite dans la communication d'entreprise », considère-t-il. Ariane Forgues-Enaud compte rester dans la politique et la collaboration avec les élus, tout en cultivant sa compétence de plume, « une valeur ajoutée par rapport à d'autres profils d'attaché parlementaire ».

Et puis il y a Anne Pédron-Moinard, qui, piquée par le virus de la politique a décidé de se présenter aux prochaines élections législatives en Loire-Atlantique. Et pour le moment, elle a prévu de rester sa propre plume.

Camille Wong

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