Formation

Les tensions sur le marché de l’emploi poussent les entreprises à revoir leurs stratégies de recrutement et à s’intéresser davantage aux qualités des profils issus de l’université.

« Nous avons décidé d’innover en matière de recrutement de nos consultants. Nous avons embauché […] une personne issue de la diversité, diplômée de l’université. Nous voulions aller plus loin qu’une école d’ingénieurs de groupe 2 ou qu’une business school de groupe 3. Quitte à vivre dangereusement, autant aller au bout des choses. » Maximilien Lobtus, personnage né sous la plume de Karim Duval, est plus vrai que nature. L’un des matériaux de base de cet humoriste(1) porte sur les ressources humaines en entreprise. Mis en ligne fin 2021, ce sketch baptisé « Recruter autrement » frôle le million de vues. La place des jeunes diplômés d’université – et ils sont 1,6 million à y être inscrits en 2020-2021 - sur le marché de l’emploi est un sujet d’actualité. Avec la baisse du chômage et la forte demande de recrutements, va-t-on vers un renforcement des profils issus d'une formation universitaire ?

Vers plus de professionnalisation

La Sorbonne, Dauphine, Assas bientôt… Benoit Serre multiplie les rencontres auprès des étudiants en fac. Vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH), il est aussi DRH France chez L’Oréal. « Université et entreprise, deux univers qui se connaissent mal, déplore-t-il. Revoir nos schémas est nécessaire. Il fallait les tensions sur le marché pour s’apercevoir des qualités de l’université. » Selon un sondage OpinionWay, réalisé été 2021 pour le compte de France Universités, qui réunit tous les présidents d’universités, 86% des décideurs déclarent ainsi avoir une bonne opinion –12 % une très bonne - des universités, des formations et de la recherche scientifique qui y sont pratiquées. Deux illustrations ? Camille Harant, étudiante en M2 expertise et consulting en communication à Bordeaux Montaigne, parle contrat à durée indéterminée (CDI), trois mois avant la fin de son stage. Son employeur ? L’agence Com’presse. B Lab France, organisation non gouvernementale qui porte la certification B Corp, a tout bonnement préféré zapper le stage pour proposer à Camille Paumier, étudiante de la même promotion, un CDI.

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« Le rapport de force s’est équilibré, explique Adrien Ducluzeau, directeur de La Relève, cabinet de recrutement d’étudiants et de jeunes diplômés (0 à 5 ans d’expérience). En management, RH ou bien encore marketing, il a même complétement changé de main. Êtes-vous ouvert à recevoir des candidatures autres qu’issues des grandes écoles ? Le taux d’acceptation est beaucoup plus élevé. » Les connexions entre les deux mondes devraient croître encore dans les mois à venir, grâce à une mesure passée un peu inaperçue. Depuis un décret de septembre 2021, les universitaires peuvent bénéficier de césure en entreprise de six mois par cycle. « Exceptionnel jusque-là, ce dispositif va leur permettre, souligne Jérémy Lamri, fondateur de JobTeaser, de rivaliser avec les grandes écoles. Une vraie révolution culturelle. »

De gré ou de force

« Ce nouveau regard se fait par défaut, commente Djamil Kemal, fondateur de Goshaba, société de logiciels spécialisés dans l’évaluation des soft skills. Mais, cela ne marcherait pas si les jeunes ne performaient pas une fois dans les entreprises. Il ressort des échanges que nous avons avec elles qu’ils ont enregistré les meilleures performances dans leurs postes. » Trading digital, trading social, search… Des métiers en tension qui poussent ainsi Publicis Media à inventer d’autres façons de flécher les futurs collaborateurs. « On les recrute pour les former, commente Hélène Cestari, business partner en charge du développement des compétences et des projets RH, quand on faisait l’inverse jusque-là. Avant, seules les compétences techniques prévalaient. Aujourd’hui, les soft skills entrent en ligne de compte. »

En 2022, 50 contrats vont ainsi être proposés, par le truchement d’Oreegami, académie inclusive en marketing digital. Et sans écart de salaire à l’issue par rapport aux diplômés de business schools. « Les structures RH proposent d’aller chercher d’autres profils, note Deborah Marino, directrice générale adjointe de Publicis Luxe, plus variés, plus jeunes aussi. Loin d’être majoritaire, ce mouvement s’inscrit dans la politique de diversification, avec des candidats venus de l’étranger ou d’établissements de banlieue… Ce n’est pas l’université que l’on va chercher, mais des jeunes qui se caractérisent par d’autres déterminants. Mais, à dire vrai, peu de CV d’universitaires parviennent jusqu’à mon bureau. »  Un appel aux vocations ?

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La date butoir des aides aux entreprises pour recourir à l’apprentissage est fixée au 30 juin prochain 2022. Universitaire ou pas, business school ou pas, bac+2/3 ou bac+5… la question aurait moins d’importance. Une stratégie « développée aussi pour pallier le manque d’équivalents temps plein permanents » que dénonce Manuel Lesaicherre, à la tête de Think positif, société de conseil. Le changement de paradigme des entreprises offrirait même une bouffée d’air aux non diplômés. « L’employabilité des bac+4, de ceux qui ne sont pas allés au bout de leur master croît aussi, analyse Mathieu Loué, executive manager senior chez Hays, cabinet de recrutement. Un phénomène que l’on n’observait pas il y a encore cinq ans. ». « Dans un écosystème plus vica (volatil, incertain, complexe et ambigu), conclut Yann Gabay, fondateur d’Oreegami, recruter un universitaire, plus autonome, plus réfléchi, devient peut-être une valeur ajoutée ».

(1) qui sera au Théâtre libre les 28 et 29 juin prochains

«Il faut savoir aller au-delà du cliché»

Trois questions à Guillaume Gellé, président de l’université Reims Champagne-Ardenne, vice-président de France Universités

L’université n’a pas forcément bonne presse en matière d’insertion professionnelle de ses diplômés. Comment l’expliquer ?

Le regard porté sur l’université est peut-être un peu biaisé. On pourrait parler de malentendu. Diverses enquêtes menées à 18 mois ou 30 mois montrent une insertion de qualité et stable dans le temps. On est même passé devant les écoles. À 75 %, l’entrée sur le marché de l’emploi se fait en contrat à durée indéterminée (CDI) ou en libéral, et non pas sur des emplois précaires. Un focus sur la promotion 2020 a été réalisé 12 mois après leur sortie pour mesurer l’impact de la crise. 82 % des Bac+5 étaient en emploi. Ce décalage correspond au regard que l’on a conservé de sa propre expérience d’il y a plus de 20 ans.

En quoi l’université a-t-elle évolué ?

Sa proximité avec les branches professionnelles est plus grande. Notre offre s’est enrichie pour mieux répondre à leurs attentes. Avec – notamment - la création de la formation supérieure de spécialisation. Créée par un décret d’octobre 2020 et développée à titre expérimental par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), elle se prépare en un an – avec 60 crédits ECTS à la clé. On en compte une quarantaine, proposées en alternance, et mises en place à la demande de secteurs ou de groupements d’entreprises.

Vous continuez de créer ces formations spécialisées en alternance ?

Au sein de l’université Reims Champagne-Ardenne, une toute nouvelle va voir le jour en matière de bioraffinerie. Il faut savoir aller au-delà du cliché. Le regard porté sur l’université est injuste. Les premières formations professionnalisées y ont vu le jour, avec la santé, ou le droit, pour devenir juge ou avocat.

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