La première fois que j’ai pris conscience de ma classe sociale c’était au lycée, en cours de sociologie. On lisait des statistiques et ma professeure de sciences économiques et sociales expliquait que les enfants d’ouvriers et de paysans avaient moins de chances d’accéder à des études supérieures. Sur le moment, cela m’a révoltée. Elle m’a dit de ne pas le prendre contre moi, qu’en général, les enfants d’ouvriers étaient moins poussés par leur famille que les enfants de cadres. Je suis la fille d’un père paysan et d’une mère aide-soignante, qui m’ont toujours conseillé de faire des études, et encouragée à faire ce que je voulais dans la vie.
A l’époque, cette scène avait été très violente. Je me suis mise à pleurer devant la classe et me suis vraiment fâchée avec cette professeure. J’avais 17 ans et c’était la première fois qu’on m’expliquait que j’avais moins de chances de réussir que les autres dans la vie du fait de mon milieu social.
Ce n’est pas que mes parents n’ont rien pu m’apprendre, mais assez rapidement, avec l’école, mes connaissances ont dépassé les leurs
Ce n’est que bien après que j’ai compris que c’est effectivement plus difficile pour nous. Pas parce qu’on ne nous pousse pas mais parce qu’on n’a pas accès à la culture de la même façon que les gens qui gagnent 5 000 euros par mois. Et peut-être que la culture de nos parents nous est moins transmise. Ce n’est pas que mes parents n’ont rien pu m’apprendre, mais assez rapidement, avec l’école, mes connaissances ont dépassé les leurs. C’est quand je suis arrivée à la fac de droit, à Limoges, que j’ai ressenti ce changement de milieu. J’avais fait toute ma scolarité – école, collège, lycée – à la campagne, à La Châtre, près de Châteauroux. Limoges, depuis Paris, c’est une ville moyenne mais quand on vient de la campagne, c’est déjà une grande ville.
A 18 ans, je me suis alors retrouvée entourée de personnes qui avaient une culture générale que je n’avais pas du tout. J’étais vraiment la fille de paysan au milieu des bourgeois. J’avais accès à des gens qui étaient très au fait de l’actualité, de la politique et avaient beaucoup de connaissances, de culture générale. A l’époque, je n’avais pas toutes ces références. J’ai bien été obligée de m’adapter. Dès le départ, j’essayais de prendre leurs habitudes, j’ai tenté de lisser mon accent de la campagne, par exemple. Je ne voulais pas paraître ridicule.
Quand je suis arrivée à Toulouse pour mon master, le décalage est devenu encore plus fort. Le métro, les universités gigantesques, tout était radicalement différent. A Toulouse, le week-end, on partait au ski, à la mer. Ou bien on allait au cinéma, au musée. A la campagne, on allait ramasser les champignons en forêt ou faire du vélo.
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