Marie étire ses bras endoloris. Une longue nuit de plus, faite de galettes des rois et de cochons en pâte d’amande, dans une boulangerie mosellane. Depuis septembre 2021, l’étudiante en CAP pâtissier alterne stage pratique et cours théoriques. Le monde à l’envers pour la presque trentenaire. A la rentrée 2020, l’élève occupait la place du professeur. De français. Pourtant, la nostalgie ne fait pas chavirer la Messine. « J’ai eu beau travailler à 2 heures du matin, pour 3,90 euros de l’heure, je ne me suis pas dit que je serais mieux à l’école. »
Pour Marie (qui a requis l’anonymat comme les autres enseignants cités, l’idée de cette reconversion a germé il y a deux ans. Elle était en poste dans un collège. « Je ne trouvais pas mon métier insupportable, se souvient-elle. Sans Covid, j’aurais peut-être attendu deux ou trois ans. » A la rentrée 2020, le mal-être des élèves confinés, le stress des règles fluctuantes, les frustrations face à une administration absente… conduisent la professeure à chercher une échappatoire. Elle demande une mise en disponibilité. Traduction : le congé sabbatique de la fonction publique.
Malgré les 400 millions d’euros de revalorisation salariale mis sur la table au Grenelle de l’éducation, qui s’est tenu de fin 2020 à début 2021, certains enseignants continuent de regarder vers la sortie. Fondateur de l’association Aide aux profs, Rémi Boyer est témoin et acteur de cette tendance. « Depuis la crise sanitaire, on a reçu nettement plus de demandes d’accompagnement pour démission, rupture conventionnelle… Et pour disponibilité. »
24 200 disponibilités en 2021
Sur les 870 000 enseignants français, pendant que quelques centaines quittent la profession chaque année, quelques milliers se mettent en disponibilité pour un an ou deux ans. Entre 2012 et 2021, le nombre de professeurs en disponibilité est passé de 17 700 à 24 200.
« De plus en plus, les collègues qui n’en peuvent plus demandent une dispo, affirme Guislaine David, cosecrétaire générale du SNUipp-FSU, qu’elle soit accordée « de droit » (santé, enfant de moins de 12 ans…), ou validée par l’administration (études, convenance personnelle…). Pour se former à un autre métier, mais sans franchir immédiatement ce cap de la démission. »
Pleurs au réveil, crises d’angoisse, puis quasi-burn-out. Après sept ans, le corps d’Anna ne supporte plus ce métier « sous-payé » et sans reconnaissance. La remplaçante en mathématiques veut faire ses cartons au plus vite. Mais sans claquer la porte, « au cas où [sa] formation de data scientist ne marcherait pas ». En parcourant des groupes Facebook, elle découvre que la disponibilité pour « convenance personnelle » nécessite l’aval de son administration.
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