Première sonnerie. Anne-Sophie Minkiewicz réajuste son casque téléphonique. Deuxième sonnerie, suivie d’un clic sur son profil Skype. Son pseudo : « Anne-Sophie_Infirmière Reconversion ». Une nouvelle fenêtre s’ouvre. « Ça a l’air d’aller, depuis notre dernière visio ? », se réjouit-elle. Le sourire de Marine apparaît sur l’écran. Six mois après son bilan de compétences auprès de l’organisme de Mme Minkiewicz, la jeune infirmière a pris le temps de réfléchir à sa reconversion. Elle veut en finir avec le manque de reconnaissance et de personnel à l’Ehpad. « A court terme, le projet est de devenir infirmière en entreprise », explique-t-elle.
Ces velléités de reconversion des infirmières diplômées d’Etat (IDE), Anne-Sophie Minkiewicz en a fait un métier florissant. La blouse l’attire depuis qu’elle a 5 ans. Elle l’a d’ailleurs enfilée entre 2006 et 2009. Mais l’insuffisance de moyens et de temps l’ont poussée à claquer la porte de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). « Sans le vouloir, on arrivait à des situations déshumanisantes, maltraitantes… », se souvient la trentenaire.
Onze années plus tard, dont la majeure partie exercée dans la spécialité « conduite du changement », Mme Minkiewicz veut « prendre soin de ces infirmières dont personne ne prend soin ». Au départ seule à la barre, la demande exponentielle lui a permis de transformer Infirmière Reconversion en start-up : douze coachs (tous anciens personnels de santé), et bientôt 300 infirmières preneuses de son programme de deux mois (finançable par le compte personnel de formation).
« On en est à 60 000 postes d’infirmiers vacants », remarque Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels infirmiers.
Un succès emblématique d’un mal-être plus profond dans le corps infirmier, exacerbé par les vagues de Covid-19. Sur les 764 260 IDE comptabilisées en janvier 2021 (dont deux tiers en établissements de santé), Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers, évoque des dizaines de milliers de blouses raccrochées. « Après la fin progressive des plans blancs, on en est à 60 000 postes d’infirmiers vacants. Le différentiel entre les diplômés et ceux qui exercent vraiment s’élève à 180 000 professionnels. » Et quels que soient leur ancienneté, leur service, leur établissement, les motifs des départs se recoupent.
Gestion « peu humaine », salaire peu élevé
Partir, Aude Grillault y pensait depuis son entrée dans le métier. « Déjà en école d’infirmière, on était une dizaine à se demander ce qu’on ferait dans cinq ans », se souvient la jeune femme de 32 ans. Quelques mois de stages lui suffisent pour prendre conscience de la charge qui l’attend. Horaires fluctuants et à rallonge, gestion « peu humaine » et parfois irresponsable des cadres, salaire peu élevé… Comme nombre de ses collègues, l’infirmière vacataire se voit comme « un pion, que l’on déplace d’un service, d’une garde à l’autre, sans lui demander son avis ». Diplômée en 2016, elle tient en travaillant majoritairement dans les salles de réveil, « plus confortables ». Jusqu’à un burn-out en 2019.
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