Recrutement : la cosmétique contrainte d'ouvrir ses portes
Traditionnellement discrète, l'industrie de la beauté made in France, qui comprend 85 % de PME, se dévoile pour faire face à un contexte inédit : la pénurie de main-d'oeuvre. La filière recrute 15.000 personnes cette année, plus que la pharma et autant que l'aéronautique.
Par Stephane Frachet
Dans le monde d'avant, les CV tombaient tout seuls dans les services RH des grandes marques de la beauté. Le prestige de Dior ou L'Oréal leur garantissait un recrutement fluide. « Aujourd'hui, nous recevons toujours autant de candidatures spontanées, mais nous subissons la pénurie de certains profils, notamment dans l'encadrement de la production et la maintenance industrielle », résume Véronique Virgery. La responsable ressources humaines de la principale usine de Dior (groupe LVMH, propriétaire des « Echos ») à Saint-Jean-de-Braye (Loiret) participait récemment à un salon d'orientation organisé de concert avec le pôle de compétitivité Cosmetic Valley.
Depuis 2015, alertée par ses adhérents PME, qui représentent plus de 8 entreprises sur 10 et ne bénéficient pas de l'aura de leurs clients, la Cosmetic Valley a anticipé le phénomène en lançant une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) sur les trois régions Centre-Val de Loire, Normandie et Ile-de-France.
« Quatre ans pour un technicien de maintenance »
En extrapolant à l'échelle du pays, le cluster estimait alors les besoins en recrutement à plus de 10.000 personnes par an. « Nous en sommes à 15.000 en 2022 », dit Christophe Masson, directeur du pôle. Ce qui place la pénurie au même niveau que celle de l'aéronautique, et devant celle de la pharmacie (autour de 11.000). Exemple à Vichy (Allier) et à La Roche-Posay (Vienne), où L'Oréal recrute 70 personnes pour répondre à la croissance de ses marques en dermocosmétique.
Rien que dans le département d'Eure-et-Loir, où sont fabriqués les Best Sellers One Million de l'espagnol Puig et Mustela d' Expanscience, il faudrait plus de 200 techniciens de maintenance toutes industries confondues. Des techniciens capables de comprendre et d'entretenir les lignes de production de plus en plus souvent automatisées et reliées à un progiciel. « J'ai mis quatre ans à en fidéliser un. Là, je crois que j'ai trouvé le bon », témoigne Didier Guérin, dirigeant d'Inavive Lab, qui emploie une vingtaine de salariés à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) pour fabriquer des soins bio pour les marques Acorelle et Cinq Mondes, entre autres.
Sous-effectif chronique
Dans une étude commandée par la Cosmetic Valley, le cabinet Asteres a relevé fin 2021 un fort rebond de l'activité des cosméticiens français au sortir de la crise, ainsi que des investissements soutenus tirés par les exportations vers la Chine et les Etats-Unis.
Pour répondre à cette croissance, que la dernière étude disponible, celle d'Allied Market Research sur les ingrédients, évalue à 6,5 % par an, près de la moitié des entreprises de la filière pensent qu'elles vont recruter. « Nous sommes peu connus et pas assez aimés », clame Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH et président du cluster Cosmetic Valley, qui organise désormais des forums d'orientation dédiés à la filière.
Nous sommes peu connus, et pas assez aimés
Marc-Antoine Jamet Secrétaire général de LVMH et président du cluster Cosmetic Valley
Asteres a calculé un sous-effectif chronique dans la filière. La moyenne est d'environ 34 salariés par entreprise, un chiffre en recul en 2020 en raison de la crise, mais plutôt stable sur le temps long, alors que la croissance reste élevée. Ce que les entreprises compensent par une hausse des investissements et de la productivité. Et par la formation interne, ajoute en substance Marc-Antoine Jamet, qui précise : « 65 % de nos salariés ont bénéficié d'une formation, soit 20 points au-dessus de la moyenne nationale. »
Les enjeux de recrutement vont bien au-delà du taux de rotation traditionnel dans les entreprises. « Il nous faut attirer de jeunes ingénieurs et des jeunes cadres pour répondre à la concurrence du Japon, de la Corée du Sud ou de l'Italie qui ont conservé leur culture industrielle, afin d'affronter les défis de l'innovation, de l'industrie 4.0 et de la transition numérique », analyse Christophe Masson. Au risque d'être dépassés dans cette compétition mondiale.
Stéphane Frachet (Correspondant à Tours)