Les vétérinaires deux fois plus à risque de suicide que les professions de santé humaine

20 % des vétérinaires auraient eu des idéations suicidaires au cours des douze derniers mois.

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Valérie DUPHOT

Enquête

Le Pr Didier Truchot (psychologie sociale, université de Bourgogne-Franche-Comté) a présenté les résultats de la première étude française sur la santé psychologique des vétérinaires, initiée par l'Ordre national des vétérinaires et Vétos-Entraide, le 19 mai, à Paris. Des facteurs de stress ont été identifiés. Le but de cette étude est d'apporter des solutions ciblées aux fréquents problèmes psychologiques qui frappent la profession.

Lancée par l'Ordre national des vétérinaires et Vétos-Entraide en 2019, la première étude en France sur le burn out et les idéations suicidaires des vétérinaires vient d'être publiée. C'est la première au plan international à prendre en compte les facteurs de personnalité et de stress professionnel. Elle s'est ainsi intéressée aux variables socio-démographiques, aux caractéristiques du poste de travail, aux facteurs de stress et de personnalité, aux troubles somatiques, aux événements de la vie personnelle et à l'addiction au travail.

« Cette étude qualitative et quantitative s'est appuyée sur 39 interviews de vétérinaires qui ont permis de définir une échelle de facteurs de stress, qui ont permis d'établir des questionnaires. Ils ont été envoyés à des vétérinaires », a déclaré le Pr Didier Truchot (psychologie sociale, université de Bourgogne-Franche-Comté), le 19 mai, à Paris. « 3 244 ont répondu (soit 17,5 % de la population vétérinaire), dont certains ont accepté de répondre à une étude complémentaire par questionnaire. Le but de l'étude est de cibler les actions de prévention ».

L'âge moyen des répondants (68,5 % de femmes) est 41,4 ans.

Idéations suicidaires et addiction au travail

Les résultats de l'étude montrent que 4,7 % des vétérinaires ont déjà tenté de se suicider. « Ils ont un indice d'épuisement émotionnel 1,2 fois supérieur à celui des agriculteurs et 1,5 fois supérieur à celui de l'échantillon de référence de la population générale, qui conduit à un taux élevé de burn out », précise le Pr Truchot. « Les vétérinaires sont 3 à 4 fois plus à risque de suicide que la population générale et 2 fois plus à risque de suicide que les professions de santé humaine ».

Selon l'étude, 20 % des vétérinaires auraient eu des idéations suicidaires au cours des douze derniers mois. 4,8 % des vétérinaires interrogés ont déclaré avoir eu assez souvent, fréquemment ou tout le temps envie de se suicider dans les semaines ayant précédé l'enquête. 18,4 % ont eu cette envie occasionnellement.

« Les scores élevés de burn out parmi les répondants à l'enquête alertent sur le mal-être de la profession vétérinaire », explique le Pr Truchot. « L'épuisement émotionnel, noyau central de ce syndrome psychologique, frappe davantage les femmes, ceux qui vivent seuls, ceux qui exercent en milieu rural, ceux dont l'activité est tournée vers les animaux de compagnie, les salariés et ceux qui exercent dans des chaînes de cliniques ».

Attitudes cyniques et efficacité professionnelle réduite

Didier Truchot ajoute que le burn out touche surtout les plus jeunes et qu'il peut s'accompagner du développement d'attitudes cyniques et d'une efficacité professionnelle réduite. Pour les vétérinaires salariés, il souligne l'impact du niveau de rémunération et le sentiment de dévalorisation.

« Les gardes et les astreintes de nuit constituent une question importante. Elles ne sont pas associées au burn out mais aux troubles du sommeil et aux idéations suicidaires », indique-t-il. C'est particulièrement vrai chez les vétérinaires exerçant seuls dans des territoires ruraux et qui soignent les animaux de rente.

23,2 % des répondants ont des idéations suicidaires à des degrés divers. L'étude montre que les vétérinaires qui ont effectué une tentative de suicide font plus de gardes ou d'astreintes de week-end par mois, plus de gardes ou d'astreintes de nuit, ont pris moins de jours de congés au cours des douze derniers mois, ont été davantage en arrêt pour maladie au cours des deux dernières années et pensent travailler davantage alors que leur état de santé aurait nécessité du repos au cours des douze derniers mois.

Des résultats à affiner

L'étude identifie les facteurs de stress rencontrés par les vétérinaires : la charge de travail et l'interface vie professionnelle-vie privée ; la peur de l'erreur ; le travail morcelé ; les conflits et les tensions avec les collègues ; les problèmes financiers ; la négligence et la maltraitance des clients envers les animaux ; la charge émotionnelle face à la détresse ; la peur des blessures.

37 % des vétérinaires ont une addiction au travail : ils entretiennent une relation de dépendance vis-à-vis de leur travail. « Les personnes souffrant d'addiction au travail sont très perfectionnistes, sont souvent en mauvaise santé et n'apportent pas de plus-value à l'organisation », précise le Pr Truchot.

Cette étude constitue une première phase. Dans le cadre d'une étude longitudinale financée par l'Ordre national des vétérinaires et Vétos-Entraide, un autre questionnaire va être envoyé aux vétérinaires pour en affiner les résultats.

Alléger ou mutualiser les urgences et les gardes

Notre confrère Jacques Guérin (président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires) rappelle la carence actuelle en vétérinaires urbains et ruraux. « Plus de 600 ont quitté le tableau de l'Ordre des vétérinaires en 2021 », précise-t-il. « Ce travail va permettre d'avoir des clés pour apporter des réponses à ce problème ».

Il souligne que malgré l'épuisement professionnel, nos confrères gardent une bonne efficacité et qu'il serait important de conduire des travaux similaires à cette étude chez les étudiants vétérinaires. « Il faut trouver un moyen d'alléger, voire de mutualiser, les urgences et les gardes. Une réflexion collective s'impose sur les relations entre les vétérinaires employeurs et les collaborateurs », conclut Jacques Guérin. « La dépendance psychologique au travail doit être analysée au regard de la sélection et du cursus des étudiants, avec un travail de sensibilisation ».

Encore plus d'infos !

La synthèse du rapport est disponible en ligne : https://urlz.fr/ikkq

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1621

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