Les start-up françaises de la cybersécurité montrent les muscles
L'écosystème est en progression constante et attire de plus gros financements. Mais il y a encore trop peu de licornes et de relations avec les grands groupes. Le Campus Cyber, qui a ouvert à La Défense, doit aider les jeunes pousses à franchir des paliers.
Par Adrien Lelièvre
Une nouvelle tour a fait son apparition dans le ciel du quartier d'affaires de La Défense à Puteaux : elle abrite le Campus Cyber, qui a été inauguré en février 2022 et est piloté par Michel Van Den Berghe, l'ancien directeur général d'Orange Cyberdefense.
L'immeuble compte treize étages et rassemble au même endroit grands groupes industriels, jeunes pousses, la police et la gendarmerie, chercheurs, et des membres de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Financé par l'Etat et des acteurs privés, le site doit aider la filière cyber à s'armer contre des menaces de plus en plus nombreuses et complexes.
Si la France compte des poids lourds (Atos, Thales, etc.), les start-up tricolores de la cybersécurité ne brillent pas encore du même éclat que celles qui évoluent dans la fintech ou les places de marché. Une étude réalisée par le cabinet Wavestone et Bpifrance dévoilée à l'occasion du salon VivaTech le rappelle et évalue les forces et faiblesses de l'écosystème.
Hausse des financements
Elle recense 160 start-up cyber, contre 152 en 2019. Le nombre de « scale-up » est évalué à 23. Trois d'entre elles appartiennent au French Tech 120 (Ledger, GitGuardian, Yousign). Au total, la filière emploie maintenant 1.700 personnes, un chiffre en hausse de 5 % sur un an. « Nous avons un écosystème qui confirme son dynamisme et sa solidité », analyse Gérôme Billois, coauteur du rapport.
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Les investissements croissants reflètent les progrès en cours. Entre juin 2021 et juin 2022, les jeunes pousses du secteur ont amassé 630 millions d'euros, contre 100 millions un an plus tôt pendant la même période. Ce montant record est tiré par le giga tour de table de Ledger (312 millions d'euros) , qui vend des appareils dédiés à la conservation de cryptoactifs. GitGuardian , Zama, Didomi, Yousign, Vade et Gatewatcher ont aussi réussi des tours de table avec des montants supérieurs à 20 millions d'euros.
Le rapport pointe des axes à améliorer : le premier est le manque d'innovation. 61 % des jeunes pousses tricolores réinventent des solutions déjà existantes. Ce qui, par définition, limite leur capacité à disrupter un marché. Résultat : beaucoup de start-up ont une faible croissance et finissent par vivoter. « Il y a aussi un frein à l'internationalisation, qui est lié à un manque de volonté ou de savoir-faire », décrypte Gérôme Billois. Des sociétés comme Vade, GitGuardian, Alsid (rachetée par Tenable) montrent toutefois que rien n'est impossible.
Autre handicap : beaucoup d'entrepreneurs ont une formation technique mais manquent d'expérience entrepreneuriale. Ils peinent ainsi à vendre leur projet. L'écosystème des investisseurs reste aussi timide. Tikehau Ace Capital était le seul fonds spécialisé dans la cybersécurité, mais a été rejoint par Cyber Impact Ventures. Dès que les start-up deviennent matures et ont besoin d'une enveloppe significative pour les séries B, C ou D, les fonds étrangers - notamment américains - prennent le relais. « Il y a encore un travail d'évangélisation à faire », constate Gérôme Billois.
Ouvrir l'innovation
Une des autres faiblesses historiques du secteur réside dans le manque de relation entre les grands groupes et les jeunes pousses (16 % seulement sont concernées). « On ne parle pas le même langage et les processus pour collaborer sont trop complexes », grince le patron d'une start-up en vue qui cherche à signer un gros contrat.
Le Campus Cyber vise à faire tomber ce type de barrière, à donner naissance à un système d'innovation plus ouvert, notamment sur le monde de la recherche. La filière souffre enfin de problèmes de recrutement. Près d'une start-up sur deux peine à attirer des talents. Un problème d'autant plus difficile à surmonter quand on reste sous-financé par rapport à d'autres verticales de la tech.
Adrien Lelièvre