La nouvelle marine marchande à voile inspire les entrepreneurs français
Une trentaine d'acteurs dont dix français avancent sur de nouvelles solutions à voile pour réduire la facture énergétique et les émissions des navires de commerce. Le financement reste un obstacle.
Par Emmanuel Guimard
Kites, voiles souples, rigides, ailes, rotors… Le retour des cargos à voile, cent ans après leur extinction, génère un foisonnement d'innovations. Wind Ship, l'association qui fédère les acteurs français de cette nouvelle filière, dénombre une trentaine de développeurs de technologies dans le monde, dont dix en France, « avec un haut niveau de maturité ». L'Hexagone est donc bien dans la course.
Le récent livre blanc de Wind Ship ainsi que la dernière note de l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar) estiment que 3.700 à 10.000 navires pourraient être équipés de systèmes véliques d'ici à 2030.
Déjà 20 navires
A ce stade, une vingtaine de navires de charge, de 80 à 340 mètres de long, propulsés par le vent sont à l'essai en mer. Parmi les prochains figurent le « Canopée », un cargo de 121 mètres de long de la PME nantaise Zéphyr & Borée ; le cargo de 81 mètres que la compagnie finistérienne Towt vient de commander au chantier Piriou ou le voilier ravitailleur « Persévérance » (42 mètres), construit par ce même industriel breton.
Le coût des énergies fossiles favorisera cet essor. Selon Wind Ship, le vent permet de réduire les émissions et la consommation de 5 % à 20 % sur des navires existants, jusqu'à dépasser 30 % sur des navires spécifiquement conçus pour le vent. L'autre incitation forte est la réglementation sur les émissions, de plus en plus hostile au fuel lourd.
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Les solutions véliques ont donc prouvé techniquement leur efficacité, en attendant que les fiouls verts (ammoniac, méthanol) et l'hydrogène prennent leur place, « ce qui risque de prendre des années », note Vincent Bernatets, fondateur d'Airseas, un spin-off d'Airbus développant des kites géants. Autres avantages : « il n'y a pas de risque de pollution et pas d'infrastructures à installer dans les ports », observe Camille Valéro, coauteur de l'étude Isemar.
La voile gonflable de Michelin
Le bassin de Nantes-Saint-Nazaire est l'un des territoires où cette nouvelle filière s'installe. Wisamo, qui développe une aile gonflable, s'installera cet été à Nantes. Ce spin-off de Michelin de 30 salariés, pour l'instant basés à Lyon et en Suisse, a signé un partenariat avec la Compagnie maritime nantaise. Elle équipera le cargo MN Pélican d'un prototype de 100 mètres carrés pour la tester cet hiver dans les rudes conditions du golfe de Gascogne.
Egalement à Nantes, avec 70 salariés, Airseas teste un site de 500 mètres carrés sur le navire « Ville de Bordeaux », roulier de Louis Dreyfus Armateurs affrété par Airbus. L'entreprise a déjà vendu deux kites à l'armateur japonais K.Line, qui pourrait en commander davantage. Son plan est de construire localement une usine en 2028. Un autre projet industriel est mené à Caen par Ayro, dont les ailes articulées équiperont le « Canopée ». Cent emplois seront créés sur place.
Comme un accordéon
A Saint-Nazaire, les Chantiers de l'Atlantique testent une version terrestre de Solid Sail, un gréement rigide qui se replie comme un accordéon. Un démonstrateur de toile réel, d'un coût de 18 millions d'euros, suivra. Le projet associe une dizaine d'entreprises bretonnes comme Multiplast, CDK Technologies ou Lorima, spécialistes des composites ou des gréements. L'agence Bretagne Développement Innovation recense pour sa part 156 entreprises mobilisables par la filière vélique.
D'autres voies sont explorées. Les nantais Loiretech et la start-up Farwind développeront avec Centrale Nantes la construction de rotors Flettner, des structures cylindriques de 50 mètres en composite. La filière locale peut aussi compter sur ses ressources numériques, dont celles de D-Ice, l'un des acteurs en vue dans les logiciels de routage améliorant la trajectoire des voiliers.
L'enjeu pour ces pionniers reste de financer leurs projets. « Le chemin est long de la R&D au prototype puis aux séries », mentionne Camille Valéro, pointant le manque de recul qu'expriment les financiers sur le retour sur investissement. « Même si le vent est gratuit et le restera. »
Emmanuel Guimard (Correspondant à Nantes)