L’hôtellerie-restauration révolutionne ses conditions de travail pour parvenir à recruter

Gwenole Guiomard

SECTEUR QUI RECRUTE – Bien sûr, les cadres ne sont pas les métiers les plus en tension dans l’hôtellerie-restauration qui manque avant tout de serveurs, cuisiniers, commis de cuisine, réceptionnistes et autres plongeurs. Mais la branche peine aussi à attirer les 15 000 profils de managers et de cadres qui vont lui manquer en 2022. Face aux manque de candidats, certains employeurs ont fait leur aggiornamento : ils se préparent à relever les salaires et le nombre de CDI mais aussi à passer aux journées de travail sans coupure. Une révolution. Autre bonne nouvelle : les profils qui souhaitent s’y reconvertir peuvent, plus qu’avant, y tenter leur chance. Enquête et témoignages d'experts, de DRH et de recruteurs du secteur.

L'Hôtellerie-restauration prévoit de recruter 15 000 cadres et... des difficultés pour les attirer vers des métiers malaimés.

L’hôtellerie-restauration révolutionne ses conditions de travail pour parvenir à recruter
L'Hôtellerie-restauration prévoit de recruter 15 000 cadres et... des difficultés pour les attirer vers des métiers malaimés.

Ils témoignent

  • Bernard Alberti, associé fondateur de Kyu
  • Olivier Chassignet, DRH Mise en place Villages Club Med EAF
  • Sylvie Christofle, co-responsable du Master 1 et 2 management de l’hôtellerie internationale de l’IAE de Nice
  • Fathia Gueucier, responsable du recrutement pour le Parc Astérix
  • Florence Faure-Sauvanet, DRH France et Europe du Sud AccorInvest
  • Quentin Schaepelynck, directeur général d'Homair Vacances
  • Olivier Voarick, CEO de la maison Lenôtre (groupe Sodexo)

Des recrutements à foison

Avec 7 mois de fermeture et des périodes de couvre-feu, l’hôtellerie-restauration française et ses 800 000 salariés est l’un des secteurs qui a le plus souffert de la crise sanitaire. C’est la conclusion du baromètre Komète (Kyu Observatoire Métiers Tendances Emplois) et son état des lieux sur les tensions des recrutements du secteur. L’étude pointe notamment le fait que, pendant les deux ans de la pandémie, près de 450 000 collaborateurs ont quitté cette branche pour n’y plus revenir. Ces salariés ont rejeté en bloc des métiers précaires, aux conditions de travail peu appréciées avec des horaires à rallonge et des salaires laissant à désirer.

Aujourd’hui, début 2022, ce secteur souhaite embaucher, dans les 12 prochains mois, 70 000 salariés dont 15 % de cadres, Cela correspond à 15 000 postes de cadres à pourvoir.
Bernard Alberti, associé fondateur de Kyu, l’entreprise publiant les baromètres Komète.

Des promotions mais aussi quelques recrutements de managers au Club Med

Olivier Chassignet

Olivier Chassignet, DRH en charge de la mise en place des équipes pour les « resorts » Europe-Afrique du Club Med, recherche pour 2022, 540 managers. Mais il les cherchera avant tout en interne : « Conformément à notre politique maison, 90 % de nos postes cadres relèvent de la promotion interne. Seuls une vingtaine de managers seront recrutés à l’externe, c’est à peu près le même chiffre que l’an passé. » Le DRH se plaint d’un manque de ressource. Son secteur attire moins qu’avant.

Homair Vacances renforce ses équipes d’encadrement

Quentin Schaepelynck
Quentin Schaepelynck

« Nous avons recruté 25 cadres en 2021 et en rechercherons autant en 2022, ajoute Quentin Schaepelynck, directeur général d'Homair Vacances, le spécialiste de l’hôtellerie de plein-air (33 campings en gestion, 300 destinations en France, Espagne, Croatie… et distributeur en ligne de places de camping). Nous embauchons, pour nos établissements, des directeurs de camping, des responsables de secteur supervisant les campings d’une région donnée, des conducteurs de travaux, des topographes. Au siège, nous recherchons des responsables marketing, des « products managers », des « customer data manager » ou des « community manager » ». Pour ce groupe, le candidat idéal a suivi une formation de responsable d’hébergement touristique avec une expérience en camping.

Quels sont les postes cadres les plus en tension

Selon le baromètre Komète, les deux métiers de l’encadrement les plus en tension sont

  • celui de chef de parties et celui chef de rang avec chacun 3800 offres d’emploi dédiés en ce moment.
  • Viennent ensuite les trois métiers de chef de cuisine, de manager de restauration et de responsable de salle avec chacun 2000 offres d’emploi dédiées.

« Ceci précisé, ajoute Bernard Alberti de Kyu/Komète, ces métiers de cadres ne sont pas ceux qui sont les plus en tension du secteur qui recherche avant tout des serveurs, cuisiniers, commis de cuisine, réceptionnistes et autres plongeurs ».

Source : baromètre des tensions au recrutement Janvier 2022 - Komète kyu

Améliorer l'attractivité du secteur via les conditions de travail

Reste que les cadres commencent, eux aussi, à se faire plus rare. Au Club Med, il est ainsi délicat de pourvoir les postes de responsables Food and beverage ou ceux de managers de managers dans l’accueil et la “room division”. « Nous recherchons des diplômés en hôtellerie ou des salariés avec une expérience dans ces métiers, précise Olivier Chassignet, le DRH. Puis nous les accompagnons en les mettant en doublon avec un manager expérimenté pour leur faire découvrir nos spécificités ».

Florence Faure-Sauvanet

Le spécialiste de l’hôtellerie, AccorInvest, recherche, lui, pour 2022, « une cinquantaine de cadres travaillant dans nos hôtels et au siège, explique Florence Faure-Sauvanet, la DRH France et Europe du Sud. Ce seront principalement, dans nos hôtels, des responsables d’exploitation, des directeurs de restaurant ainsi que des chefs de cuisine ». Pour le siège, ce groupe hôtelier souhaite transformer ces pratiques en embauchant des spécialistes en finances, en ressources humaines et en digitalisation/informatique.

Même Lenôtre fait des efforts pour attirer des talents

Olivier Voarick

« Nous avons recruté 11 cadres de septembre 2021 à janvier 2022, ajoute Olivier Voarick, CEO de la maison Lenôtre (11 boutiques, une activité traiteur, de la formation/conseil et un restaurant de luxe), dans le giron du groupe Sodexo. On constate une inquiétude à rejoindre notre secteur considéré comme déséquilibré dans la balance vie personnelle/vie professionnelle ». A l’instar de ces collègues du secteur, la marque Lenôtre, pourtant extrêmement connue, a dû mettre en place des démarches pour attirer les « talents ». L’entreprise joue sur quatre leviers : des augmentations salariales, un meilleur équilibre de vie, des formations et des possibilités de passerelles entre leurs différents métiers.

Le Parc Astérix améliore ses conditions de travail pour attirer des candidats

 

Fathia Gueucier

« Même si les difficultés de recrutement se concentrent sur les postes non cadres, il existe donc une pénurie de profils très qualifiés, confirme Fathia Gueucier, responsable du recrutement pour le Parc Astérix (300 permanents et 1500 saisonniers/intermittents du spectacle et 80 alternants). Ainsi, nous avons mis 6 mois pour finaliser l’embauche d’un responsable d’exploitation restauration dont le salaire prévu tournait autour de 3150 euros brut par mois.

 Nous disposons de moins de candidatures. C’est plus lent, plus compliqué qu’avant. Tout cela est lié au fait que beaucoup de professionnels de notre secteur ont changé de métier pendant la pandémie. Aujourd’hui, pour attirer, nous menons une réflexion et nous allons relever nos salaires, travailler sur un temps de travail sans coupure et une semaine de 4 jours ».

Une progression de carrière lente

Sylvie Christofle
Sylvie Christofle

« Si nos promotions 2021 ont souffert, je suis plus optimiste pour 2022 », commente Sylvie Christofle, co-responsable du Master 1 et 2 management de l’hôtellerie internationale de l’IAE de Nice (27 diplômés par an). Ce cursus est l’une des formations phare en France en matière de gestion hôtelière en initiale et en apprentissage.

« Nos étudiants 2022 sont tous en stage et devraient facilement trouver un emploi qui leur correspond à l’issue du cursus », ajoute l’enseignante.

Ses diplômés exercent leurs talents comme « premier de réception », « chef de réception » et « gouvernant ». Ils peuvent aussi débuter comme assistant manager en communication, en marketing ou en commercialisation. Ou démarrer comme contrôleur de gestion ou assistant coordinateur d’événement ou assistant responsable food and beverage.

Après 5 ans d’expérience, la plupart d’entre eux seront managers intermédiaires comme chef de réception, commercial ou coordinateur d’événement. Les plus avisés ou les plus chanceux commenceront à atteindre des postes de responsable de service ou de communication. Ici, les carrières les plus rapides seront celles des étudiants ayant suivi le cursus en apprentissage et ceux qui ont un double diplôme type hôtellerie et contrôle de gestion. A 10 ans, ces jeunes pourront décrocher des postes de direction marketing, de direction commerciale ou de direction d’exploitation, lean manager ou directeur d’hôtels de petites et moyennes structures.

Des salaires en hausse de 10% et davantage de CDI…

Les trop bas salaires sont l’une des raisons pour lesquelles les salariés du secteur ont quitté le navire. Les employeurs commencent à s’en rendre compte et les organisations patronales et syndicales se sont mis d’accord, début 2022, pour relever de près de 10% l’ensemble des rémunérations mensuelles du secteur, cadres compris. De plus, la branche envisage une forte augmentation des contrats à durée indéterminée. Ce taux de CDI a ainsi, selon le baromètre Komète, grimpé de 6 % entre 2019 et 2021.

 

… mais des rémunérations moindres que celles des autres secteurs

Certes, mais les salaires des jeunes Bac +5 de l’hôtellerie demeurent en-deçà des pratiques des autres secteurs. Un diplômé d’un Master 2 hôtellerie perçoit ainsi de 22 000 à 30 000 euros brut par an.

Le bas de la fourchette concerne les cadres travaillant dans les petites et moyennes structures françaises et le haut, des cadres exerçant dans les grands groupes à l’étranger. A titre de comparaison (peu flatteuse), le salaire moyen d’un diplômé Bac +5 d’une grande école française s’établissait, selon la dernière enquête de Conférence des grandes écoles, à 38 462 € bonus compris.

« Si on travaille bien, avec un bon diplôme, on avance vite, tente Sylvie Christofle, du Master management de l’hôtellerie internationale de l’IAE de Nice, qui indique aussi que le secteur exige une polycompétence accrue, un niveau de qualification toujours plus élevé liés à des postes et un salaire ne correspondant pas toujours à la formation demandée…

Exemples de salaires d’exception

Ceci précisé, le secteur bruisse aussi de jobs très bien payés comme celui d’un directeur commercial chez Lenôtre émargeant à une rémunération de 130 000 euros brut par an. En début de carrière, chez Homair Vacances, les salaires sont de l’ordre de 27 000 euros brut par an à 40 000 euros en fonction de la taille du camping pour un directeur d’établissement. A cela, il faut ajouter un logement de fonction.

 

Des reconversions possibles

Pour Bernard Alberti de Kyu/Komète, les cadres ayant quitté l’hôtellerie-restauration « ne reviendront pas. Et les besoins du secteur grandissant, il va falloir « redécoller » avec de nouveaux entrants, à savoir des salariés venus d’autres secteurs. Car on note déjà, alors que la pandémie Covid n’est pas encore terminée, de forts phénomènes de reprise dans le secteur avec des besoins accrus. Il faudra ouvrir les recrutements ».

S’il veut attirer des candidats, le secteur a bien compris qu’il lui faut ouvrir son périmètre de recrutement.

 « En tant qu’employeur, nous ne sommes plus en compétition avec d’autres exploitants hôteliers mais avec d’autres industries telles que la grande distribution ou la logistique », reconnait Florence Faure-Sauvanet, DRH France et Europe du Sud d’AccorInvest.

Devant ce phénomène, les dirigeants s’emploient à changer leurs façons de recruter. « Un bon candidat ne doit plus mettre nécessairement en avant de longues années d’expérience pour intégrer notre maison, commente Olivier Voarick, de Lenôtre Groupe Sodexo. L’important, pour nous, est que le candidat montre sa volonté d’intégrer un secteur aux métiers variés, aux nombreuses possibilités de développement de carrière. On recherche donc des cadres ayant une bonne attitude, souhaitant partager nos valeurs, qui ont soif d’apprendre et disposant d’une bonne relation avec nos clients. On vient par exemple d’embaucher aux RH des cadres venant du secteur automobile ou de la bijouterie. Ces autres cultures d’entreprise enrichissent notre approche des ressources humaines ».

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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