Le recrutement en CHR post Covid, constat et solutions à court, moyen, long terme

SABINE DURAND
Le recrutement en CHR post Covid, constat et solutions à court, moyen, long terme

De g à droite, Sabine Durand, Néo Restauration, Patrick Eveno, La Sorbonne, Jean-Michel Chapuis, La Sorbonne, Nadège Lambert, Stephenson Formation, Laura Benoumechiara, Louvre Hotels Group, Sandrine Chourrout Ducourneau, Ducasse Paris, Anne Vanhove, IHG Hotels&Resorts et Thomas Robin, Accor

250000 collaborateurs manquent dans l’hôtellerie-restauration post-Covid. Cette pénurie inédite rebat les cartes, oblige les entreprises de la filière à transformer leurs pratiques RH. Jusqu’où et comment ? Réponses lors de la session d’été* du Colloque Food Hotel Tech - La Sorbonne le 8 juin 2022, qui réunissait Laura Benoumechiara, Vice-Présidente Ressources Humaines Louvre Hotels Group, Sandrine Chourrout Ducourneau, DRH groupe Ducasse Paris, Nadège Lambert, responsable développement filière hôtelière Stephenson Formation, Thomas Robin, SVP Talent & Culture Europe du Sud Accor, Anne Vanhove, responsable Ressources Humaines Europe du Sud IHG Hotels & Resorts, Jean-Michel Chapuis et Patrick Eveno, responsables du master GATH de la Sorbonne… Une conférence animée par Néo Restauration.

Existante avant 2020, l’évaporation s’est accentuée depuis

Bien sûr, les difficultés de recrutement ne sont pas nées de la Covid, mais elles ont été exacerbées par elle. Avec le confinement, « les salariés se sont rendu compte qu’ils pouvaient vivre autrement », estime Sandrine Chourrout Ducourneau, DRH du groupe Ducasse Paris. Résultat, 30 % des effectifs du groupe manquaient à l’appel à la réouverture des restaurants ; depuis, la situation a beau s’être améliorée, elle reste tendue, notamment en salle, avec un besoin de chefs de rang ou de partie non pourvu. Même son de cloche dans l’hôtellerie, où « plus la concurrence est forte dans une ville, plus il est difficile de recruter », remarque Anne Vanhove, responsable Ressources Humaines Europe du Sud pour IHG Hotels & Resorts : à l’Intercontinental Marseille, il manque 30 personnes sur 180, à Lyon, 20, à Bordeaux, 10… » Avec des métiers en tension sur l’hôtellerie, la restauration et l’encadrement. Mais où sont donc passés tous ceux qui ont quitté la filière ? « Ils sont partis reprendre des études, vivre en province ou se tourner vers le retail, l’entrepreneuriat », précise Laura Benoumechiara, Vice-Présidente Ressources Humaines Louvre Hotels Group, dans « des entreprises plus proches de leur domicile, avec des horaires plus fixes, sans travail le dimanche ni la nuit », ajoute Thomas Robin, SVP Talent & Culture Europe du Sud d’Accor.
Cette évaporation, même Nadège Lambert, qui accompagne chaque année une centaine de jeunes apprentis dans la filière hôtelière pour Stephenson Formation, la ressent. Ce qui n’est pas encore le cas de la Sorbonne, puisque « les jeunes engagés dans les master 1 ont fait leur choix en licence, donc avant la Covid ; on constatera peut être des difficultés plus tard », admet Patrick Eveno, l’un des responsables du master GATH, gestion des activités touristiques et hôtelières de l'IREST/La Sorbonne.

Une situation qui met à mal le fonctionnement des entreprises du secteur

Au-delà de ce constat du manque de candidats, c’est sur son impact majeur sur les entreprises qu’insiste Anne Vanhove. « On ferme des points de vente, des chambres, on réduit les heures d’ouverture des bars… Même celles du Dôme de l’Intercontinental de Lyon -désigné pourtant l’an dernier meilleur bar du monde, ndlr-. C’est vraiment problématique, d’autant que pour IHG ça ne concerne pas que la France, mais aussi la Russie, l’Angleterre, les pays d’Europe du Sud ». Effectivement, abonde Thomas Robin « nous estimons qu’il nous manque entre 10 et 15 % du personnel en France, mais aux Etats-Unis ou en Australie, c’est 20 à 25 %. Et tous nos segments sont concernés, de l’économique jusqu’au Raffles ». Un peu moins quand même les établissements à l’atmosphère lifestyle, trendy, moderne comme le Kimpton Paris de IHG ou le Jo&Joe d’Accor, qui ont plus de capacité à attirer les jeunes générations.

De meilleures conditions salariales peuvent-elles suffire ?

Même si l’argent ne fait pas tout, il peut contribuer à attirer les candidats. Donc à côté de l’augmentation de 16 % de la grille des salaires acceptée par la filière hôtellerie-restauration en janvier 2022, « indispensable mais pas suffisante », selon Thomas Robin -ce, d’autant que beaucoup d’entreprises étaient déjà au-dessus de cette grille, ndlr-, chacun cherche la carte maîtresse : négociations annuelles plus généreuses, intéressement, primes de nuit, de coupure, primes sur objectif, prise en charge à 100 % des transports, treizième mois, « dont certains se moquent car ce qu’ils veulent, c’est de l’argent à la fin du mois »... L’heure est à la revalorisation, « dans une course à l’échalote dommageable : certains concurrents cherchent à débaucher nos salariés en leur proposant en net le salaire qu’ils ont en brut chez nous ! Et augmenter encore les salaires quand la masse salariale représente déjà 30 à 45 % de notre chiffre d’affaires dans certains établissements, ça devient périlleux », regrette Sandrine Chourrout Ducourneau.

La situation oblige à refondre l’organisation du travail et revoir le management

Et surtout, le salaire semble un levier moins important pour les candidats que l’organisation du travail : ce qu’ils veulent, c’est du temps pour eux, donc des jours de repos consécutifs, des week-end ou des nuits garantis. « Les horaires de travail, les coupures leur posent problème », rappelle Nadège Lambert. D’ailleurs, on le voit, « les métiers “déshorairisés”, -entendez par là tout ce qui n'est pas sur des horaires classiques 9-18h, ndlr- sont tous impactés à l’échelon mondial », souligne Patrick Eveno.Peut-être les jeunes ont-ils tellement souffert des confinements qu’ils ont besoin d’ouvrir la soupape et de s’amuser plutôt que de travailler, seulement de manière temporaire, peu importe… Il faut s’adapter, plancher sur la gestion des plannings, l’intégration des problématiques individuelles. « C’est souvent difficile de mettre en œuvre une journée sans coupure ; on essaie plutôt de passer à 4 jours de travail, 3 de repos mais ça grève la masse salariale », reconnaît Sandrine Chourrout Ducourneau. « Certains hôtels IHG sont aussi sur 4 et 3… mais le levier le plus intéressant, c’est le management, martèle Anne Vanhove. Nous avons un très gros travail à faire dessus, c’est Le challenge ». Et Laura Benoumechiara la rejoint.  « Quand des enseignes ont moins de problèmes à recruter, c’est souvent lié au manager, à sa bonne réputation, à sa capacité à faire progresser ses collaborateurs ».

De l'importance d'un bon management

Seul hic, être un bon manager, donc juste, honnête, courageux, empathique, capable de donner et de recevoir du feedback, de proposer des projets d’équipe, des “deals” pas nécessairement matériels, soucieux des perspectives d’évolution de ses subordonnés, « je ne crois pas que cela s’apprenne, déclare Anne Vanhove. Et le risque, comme on ne trouve personne, consiste à promouvoir des personnes qui n’ont pas cette fibre managériale, cette vision d’ensemble ». « Les très bons managers ont quelque chose de plus en eux. C’est comme en sport, le capitaine d’équipe n’est peut-être pas le meilleur joueur, mais il a la capacité à entraîner les autres »« Il faut avoir envie d’être manager, d’animer un collectif -c’est le prérequis- mais on peut accompagner avec de la formation, estime Laura Benoumechiara. « Certaines choses se travaillent, c’est dans ce sens que nous avons fait évoluer les programmes de notre académie Accor : avant ils portaient sur la technique, le revenue management, la gestion du PNL, aujourd’hui ils s’orientent plus sur la dimension humaine du leadership, ils placent l’intelligence émotionnelle au cœur. A nous d’identifier les bons talents, sur la base des compétences en leadership plutôt que sur les compétences techniques », déclare Thomas Robin.

Comment créer le lien avec les jeunes salariés de demain ?

« Nous avons la chance en France d’avoir des écoles et institutions  académiques avec des positionnements très différents dans la filière hôtellerie-restauration, affirme Jean-Michel Chapuis, maître de conférences HDR et co-responsable du master GATH. Souvent les professionnels s’adressent à nous comme à des orpailleurs, qui trient et détectent les pépites. Nous devons tirer ce fil du recrutement de l’aval -avec de la formation sur le lieu de travail- jusqu’à l’amont -nous devrions par exemple inviter les professionnels lors des sessions de recrutements des étudiants à la Sorbonne ». Il faut « même lancer plus loin ce fil. Les collégiens ont un stage en troisième ; il faudrait qu’il le fasse dans nos métiers. C’est à ce moment là qu’il faudrait les toucher », ajoute Patrick Eveno, qui souligne en parallèle les efforts réalisés par les entreprises. « Dans notre master 2, 65 % des étudiants sont en alternance, dans le master 1, 85 % des jeunes veulent être en alternance, une notion très importante »« Les entreprises ont de plus en plus besoin de personnes sur des postes opérationnels. Ils veulent des apprentis les plus employables rapidement », raconte Nadège Lambert.  « Les écoles ont du mal à recruter les alternants en cuisine parce que la cuisine, c’est une brigade, très hiérarchisée, avec un chef, un chef adjoint, un sous-chef… ce que les jeunes n’apprécient pas franchement. On doit changer des choses dans l’ADN de notre métier d'autant que nous sommes dans une société égalitaire », analyse Sandrine Chourrout Ducourneau. Et attention aux déséquilibres et à ne pas trop tirer sur la corde : « les stages pratiques sont obligatoires dans le master... Les jeunes arrivent dans des sociétés désorganisées par le manque de personnel et comme les équipes sont sous-dimensionnées, il faut faire le job de deux personnes à la fois. C’est un danger, ça use le personnel ».

Sortir du CV pour s'intéresser aux soft skills

Comme les candidats avec une expérience en hôtellerie-restauration manquent, il faut bien aller chercher ailleurs le filon, formation au métier à la clé : ici trois élèves en CAP esthétique dans un hôtel -elles savent travailler au contact du client-, ou des séniors recrutés avec TeePy Job, là des demandeurs d’emploi longue durée « c’est une telle satisfaction de les intégrer, ça crée des équipes fortes, soudées, loyales », souligne Laura Benoumechiara, des réfugiés avec Coallia etc. « Dans 70 % des cas, ça marche bien, dans 30 % c’est plus long à prendre»« Et on ne peut pas recruter que des gens qui ne sont pas formés ; il faut mixer avec des personnes expérimentées. Et ces personnes non formées ne peuvent pas être payées au même salaire que les autres… Ce serait bien qu’on puisse le former pendant un an et qu’en termes de charge sociale ça coûte moins cher à nos entreprises. Quoi qu’il en soit, « c’est la multiplicité des actions qui va nous permettre d'arriver à quelque chose », ajoute Sandrine Chourrout Ducourneau, qui a mis en place entre autres une POEC (préparation opérationnelle à l'emploi collective) avec l’UMIH. Si aucun des professionnels n'a de solution miracle, « c’est à nous de continuer de développer la marque employeur », « de bousculer notre façon de recruter, d’aller vers les jeunes », « de nous vendre », dans une crise « bénéfique » qui incite à recruter sur les soft skills… 
Juin 2022
* Le colloque de la Sorbonne a lieu deux fois par an, avec une session d’été, une autre au second semestre. Celle-ci se déroulera le 16 novembre prochain à la Sorbonne.
LES INTERVENANTS
Laura Benoumechiara, Vice-Présidente Ressources Humaines Louvre Hotels Group, 1 600 hôtels dans le monde, de Kyriad à Royal Tulip, du groupe Hôtels et Préférence, à la marque chinoise  Metropolo.  Le groupe a également un accord de distribution avec Lucien Barrière.
Sandrine Chourrout Ducourneau, DRH du groupe Ducasse Paris ; le groupe du Chef Alain Ducasse dont les principales activités en nombre de salariés sont la restauration, la restauration de concessions et les Manufactures (chocolat, glaces et prochainement biscuits).
Jean-Michel Chapuis, responsable du master GATH de Paris 1 Panthéon Sorbonne et maître de Conférence HDR
Patrick Eveno, responsable du master HATH de Paris 1 Panthéon Sorbonne
Nadège Lambert, responsable développement de la filière hôtelière de Stephenson Formation, recrute et accompagne vers le placement entreprise environ une centaine d’apprentis du bac + 1 au bac + 5.
Thomas Robin, SVP Talent & Culture Europe du Sud d’Accor, soit plus de 1900 hôtels en contrat de mangement et contrat de franchise, sous 21 enseignes, de l’économique au luxe.
Anne Vanhove, responsable Ressources Humaines Europe du Sud pour IHG Hotels & Resorts, 24 hôtels sous contrat de management (InterContinental, Crowne Plaza, Holiday Inn, Kimpton…) situés dans le pourtour méditerranéen. 
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