Inflation, apprentissage, point d'indice : les grandes écoles s'inquiètent pour leur modèle économique
Pour faire face à l'inflation, les grandes écoles de management s'apprêtent à introduire, dès septembre, des clauses de révision des frais de scolarité dans les contrats des étudiants. Les écoles publiques attendent un geste du gouvernement sur la facture énergétique.
L'annonce, en fin de semaine dernière, d'un coup de rabot sur les subventions aux formations en apprentissage , renforce les inquiétudes des grandes écoles sur leur modèle économique. Les sommes versées aux centres de formation doivent baisser, en moyenne, de 5 % à compter du 1er septembre et de 5 % à partir du 1er avril 2023. Les établissements ne savent pas encore précisément à quelle sauce ils seront mangés. Mais ils cherchent déjà des sources d'économies.
« Une formation qui verrait ses crédits baisser au 1er septembre ne pourra pas être concernée par une deuxième baisse en avril 2023, ce qui nous rassure, affirme Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles. Mais nous sommes inquiets, car les formations étaient déjà sous-financées. »
Des campus « menacés »
Certains campus, dont le modèle économique est fondé sur l'apprentissage, sont « menacés », assure Laurent Champaney. « Est-ce qu'on les ferme ou pas, alors que les régions nous demandent de répondre au manque de compétences des entreprises ? On a des demandes des pouvoirs publics et on ne nous donne pas tous les outils pour y répondre », déplore-t-il
Ces grandes écoles envisagent de revoir leurs liens avec les CFA externes, qui servent d'intermédiaires entre elles et l'Etat. Certaines ne perçoivent ainsi que 30 à 40 % des subventions accordées par l'Etat. « Il faut qu'on puisse gérer directement l'apprentissage, sans passer par des CFA externes ou de branche », affirme Laurent Champaney.
L'annonce de la fin du « quoi qu'il en coûte » en matière d'apprentissage « n'est pas une surprise, le problème c'est l'incertitude, on ne sait pas comment elle va s'appliquer », indique Delphine Manceau, à la tête de Neoma business school.
Réviser les frais de scolarité
L'inflation ajoute une contrainte supplémentaire. Les grandes écoles de management envisagent de faire varier les frais de scolarité en cours de cursus, en fonction de l'inflation, et d'introduire une clause de révision de ces frais dans les contrats signés par les étudiants.
Dans plusieurs établissements, cette clause doit voir le jour dès septembre prochain. La hausse ne pourrait s'appliquer qu'à partir de septembre 2023 et ne serait pas automatique. Elle se déclencherait à partir d'un certain niveau d'inflation, avec un plafond. Pour les étudiants déjà inscrits, les règles ne changeraient pas. « L'inflation est une préoccupation importante pour tous les dirigeants d'établissements », justifie Delphine Manceau qui s'apprête à mettre en place ce dispositif.
Du côté des écoles publiques, l'inquiétude liée à l'inflation est tout aussi forte. Elles espèrent un geste du gouvernement pour compenser leurs charges énergétiques.
Depuis l'annonce du dégel du point d'indice des fonctionnaires , une autre incertitude pèse sur leur modèle économique, tout comme sur celui des universités. Les établissements ne savent pas encore si la hausse du point d'indice sera « couverte » par le gouvernement.
« Il faudrait une hausse massive des droits d'inscription »
Inflation, apprentissage, incertitude sur le point d'indice : tous ces sujets remettent au premier plan la question des droits d'inscription, notamment pour les écoles d'ingénieurs publiques. « Il faudrait une hausse massive pour avoir un niveau de frais de scolarité homogène , proche par exemple de celui de CentraleSupelec », plaide Laurent Champaney.
Les écoles placées sous la tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur, qui représentent près des 80 % des écoles d'ingénieurs publiques, ont des frais de scolarité de l'ordre de 600 euros, là où les écoles Centrale sont à 2.500 euros par an et CentraleSupelec, à 3.500 euros.
« Si on ne veut pas augmenter la charge sur les entreprises, l'un des moyens est de le faire sur les familles - celles qui peuvent, car on saura toujours s'occuper de celles qui ne peuvent pas », suggère le président de la Conférence des grandes écoles. « C'est une piste à étudier », insiste-t-il en évoquant des étudiants qui, à l'issue d'une école d'ingénieurs, n'hésitent pas à s'engager dans un cursus aux Etats-Unis pour lequel les dépenses peuvent atteindre 100.000 dollars l'année. « Sur nos programmes généralistes, on accueille des enfants d'ingénieurs et de cadres qui ne sont pas concernés par la problématique du pouvoir d'achat. »
Pendant la campagne présidentielle, la Conférence des directeurs d'écoles d'ingénieurs (CDEFI) avait appelé de ses voeux « une concertation nationale » sur les droits d'inscription . En cette période de mesures attendues sur le pouvoir d'achat , c'est peu probable que le gouvernement s'y engage. « On n'a pas forcément besoin de la ministre [ Sylvie Retailleau , NDLR] pour en parler », rétorque Laurent Champaney.
Marie-Christine Corbier