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Réduire les inégalités éducatives : l’équation compliquée que des chercheurs du CNRS tentent de résoudre

En France, l'origine sociale des enfants pèse lourd dans les résultats scolaires. Pourquoi et comment lutter contre ces inégalités éducatives ? Une équipe du CNRS tente de développer un "outil de confiance" pour améliorer les performances scolaires et atténuer les disparités. Pour cela, elle exploite les sentiments métacognitifs.

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inégalités éducatives

Le CNRS tente d'étudier les mécanismes éducatifs et les processus d’apprentissage dans le but de réduire les inégalités éducatives.

EMERIC FOHLEN / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP

Notre pays est le plus mauvais élève de l’OCDE dans le domaine des inégalités éducatives. Le niveau scolaire est fortement affecté par le milieu social. Selon l'Insee, les inégalités de performances scolaires selon la catégorie socioprofessionnelle des parents sont fortes, et ce dès l’école primaire. “A l’occasion d’une dictée proposée à des élèves de CM2 en 2015, les enfants de parents ouvriers ont fait en moyenne 19 erreurs et ceux de parents sans emploi 21, soit moitié plus que les enfants de parents cadres (13 erreurs). On observe le même écart selon le niveau social pour les épreuves de calcul.”

Les mêmes tendances sont observées pour l’obtention du baccalauréat. 96 % des enfants de cadres supérieurs et d’enseignants obtiennent un baccalauréat, alors qu’ils ne sont que 64 % parmi les enfants d’ouvriers et d’employés, selon un rapport de 2019 du ministère de l’Education nationale.

Obtention du baccalauréat en fonction de la catégorie socio-professionnelle des parents et du sexe. Crédits : Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, rapport de 2019

Lors d’une conférence de presse le 29 juin 2022, le CNRS a annoncé avoir inscrit la problématique des inégalités éducatives dans son Contrat d’objectifs et de performance 2019-2023. Il fait ainsi de la réduction des inégalités scolaires une de ses priorités. La recherche française entend se mobiliser et tenter de comprendre la cause de ces différences. Elle souhaite par la même occasion développer des outils pédagogiques qui permettraient d’atténuer les inégalités scolaires.

Les dispositions métacognitives

Louise Goupil, chercheuse en sciences cognitives au CNRS à l’Université Grenoble, étudie les “dispositions métacognitives”. Il s’agit de la tendance des individus à utiliser leurs sentiments comme le doute, la confiance ou encore la curiosité pour les mettre à profit dans leurs apprentissages. “Lorsque nous doutons, nous pouvons nous arrêter et ne pas se précipiter à prendre une décision erronée : nous allons plus réfléchir avant de répondre ou poser une question pour obtenir l’information ciblée. Cela peut aussi permettre de se rendre compte que nous avons besoin de collecter plus d’information avant de répondre”, détaille-t-elle pour Sciences et Avenir.

“Avoir des pensées sur ses propres pensées”, pour résumer la métacognition, se révèle donc utile pour éviter de prendre une mauvaise décision ou détecter une erreur. Les sentiments métacognitifs peuvent donc jouer un rôle central dans le processus d’apprentissage.

L’influence du milieu social

Que se passe-t-il lorsque le milieu social influence ces sentiments ? De nombreux travaux assurent que ces derniers diffèrent selon le milieu d'origine. “Nous savons que les dispositions métacognitives sont modelées au cours de l’enfance, dès la première année, avec une différenciation importante en fonction du milieu social dans lequel les enfants grandissent, qui pré-existe très largement avant l'âge de la scolarisation” affirme Louise Goupil. Par exemple, les pratiques de questionnement sont très situées socialement. Dans toutes les cultures, les enfants se posent des questions mais la manière de questionner est très différente. “Dans certaines cultures, cela ne se fait pas de demander une explication à un adulte mais plutôt de poser des questions aux autres enfants par exemple.

A l’inverse, dans les classes moyennes supérieures, les enfants sont préparés très tôt à poser des questions. Cette pratique est même encouragée par les parents : ils posent eux même beaucoup de questions à leurs enfants, notamment d’ordre pédagogique. “Dans les classes moyennes, quand les parents jouent avec leur enfant, ils questionnent beaucoup sur l’objet. Dans d'autres milieux sociaux, les parents sont dans la joie d’interagir avec le bébé et de jouer, mais ne sont pas forcément systématiquement dans une posture pédagogique.”

En France et aux Etats-Unis, la littérature scientifique a montré à de nombreuses reprises que les enfants arrivent à l’école déjà plus ou moins préparés en fonction de la familiarité que leurs parents ont avec la pédagogie. Or, les pratiques éducatives classiques correspondent aux pratiques d’un certain groupe de la population. "L’école est faite par les instituteurs et les professeurs. Ils font partie d'une certaine classe sociale : la classe moyenne. Pour les élèves issus de la classe moyenne, les pratiques scolaires sont donc généralement similaires aux pratiques pédagogiques initiées par leurs parents. En revanche, les jeunes issus de milieux plus défavorisés, avec des pratiques pédagogiques qui sont parfois différentes, peuvent ressentir un décalage", analyse Louise Goupil.

L’outil de confiance, une méthode qui semble améliorer les notes de... tous les élèves

"L’outil de confiance" est une des pistes testées par Louise Goupil et ses collègues pour réduire ces inégalités éducatives. Il a pour but de renforcer les dispositions des élèves à évaluer leur confiance. L’outil a été élaboré par Joëlle Proust, philosophe et directrice de recherche au CNRS. "A partir de la littérature scientifique dans le domaine, elle a relevé que cet outil était efficace pour améliorer les performances des élèves. Il avait été testé mais en France il n'avait jamais été utilisé directement en classe”, explique pour Sciences et Avenir Frédéric Guilleray, enseignant en SVT et chargé de mission auprès du Conseil Scientifique de l’Education Nationale. Il a mis en pratique l'outil dans sa classe de seconde.

Dans le cadre d’une étude, des élèves du CP à la terminale ont dû estimer s'ils se sentaient capables de réussir un exercice avant et après un apprentissage et à se questionner par la suite sur leur réussite. L’exercice a été répété sur une dizaine de séances. Une centaine d’enseignants ont participé à l'expérience.

L’outil métacognitif se divise en trois parties : juste après avoir reçu les consignes, avant de se mettre au travail, l’élève se positionne sur une échelle de quatre niveaux allant de “je ne pense pas du tout y arriver” à “je vais très bien y arriver”. "Ce sentiment de “je vais y arriver / je ne vais pas y arriver” émerge naturellement, mais dans cette expérience l’idée est de faire prendre conscience à l’élève du sentiment métacognitif qu’il a à ce moment-là”, précise l'enseignant. Ensuite, l’élève rentre dans l’activité. Après avoir terminé, avant la correction, il se repositionne sur l’échelle de confiance de “je pense n’avoir pas bien réussi” à “je pense avoir très bien réussi”. Après la correction, l’élève remplit un tableau dans lequel il coche une des trois cases suivantes : “ce que j’ai fait était mieux, aussi bien ou moins bon que ce que je pensais faire”.

Exemple d’outil pédagogique : l’outil de confiance. 

Les premiers résultats sont très encourageants : les chercheurs ont observé une amélioration significative des performances dans le groupe test, après seulement 5 à 10 utilisations. “C’est encourageant de voir qu’avec peu d’utilisation, nous obtenons déjà une amélioration”.

Ces améliorations s'expliquent par le fait qu'en conscientisant ses doutes, l’élève ajuste son niveau d’effort à la séance d’après. Il autorégule son activité cognitive de manière a priori plus efficiente. Parce qu’il ajuste davantage son autorégulation, les performances s’améliorent de séance en séance. “Si la fois d’avant l’élève pensait réussir l’exercice mais qu’en fait il avait échoué, alors la fois d’après, en ayant conscience de ses doutes, le cerveau ajuste son niveau d’effort pour pouvoir s’engager au mieux dans la tâche," témoigne Frédéric Guilleray. 

Cependant, l’outil n’a pas réduit les inégalités à proprement parler puisque tous les élèves, indépendamment de leur milieu d’origine, ont eu de meilleurs résultats : "Nous avons testé l’outil sur des élèves d’établissements favorisés, moyens et prioritaires et pour l’instant, il n’y a pas de différence : cela ne permet pas de rattraper un retard, en revanche, l'outil a boosté les notes de tout le monde", note Louise Goupil.

Les chercheurs ne savent pas non plus si l’outil métacognitif en soit est responsable de cette amélioration ou si le fait d’avoir proposé quelque chose de différent par rapport aux méthodes classiques a pu motiver les élèves plus que d’usage. “L’outil est agréable à utiliser puisqu’il fait intervenir des petits personnages, les enfants ont peut-être été plus motivés à travailler que d’habitude", admet la chercheuse en sciences cognitives. Afin d’éviter ce biais, l'équipe du CNRS est actuellement en train de répliquer l’étude avec une deuxième version de l’outil : "Cette fois-ci, l’exercice proposé par le groupe d’élèves qui n’utilise pas l’outil va être plus "fun" lui aussi. On va donc voir si l’outil fonctionne vraiment”.

Mais Louise Goupil reste réaliste. Elle admet, au même titre que de nombreux sociologues comme Hélène Buisson-Fenet, directrice de recherche au CNRS en sociologie de l'éducation, que tant qu’il y aura des inégalités sociales dans la société, il y aura des inégalités scolaires. “Les inégalités scolaires reflètent les inégalités sociales : les outils pédagogiques sont intéressants mais on ne peut rien faire si les enfants ne mangent pas bien ou ne dorment pas bien à la maison.”  La recherche peut donc permettre de comprendre les origines des inégalités éducatives et tenter d’élaborer des outils pour les réduire, comme l’outil de confiance. Mais elle ne se targue pas de pouvoir les faire disparaître.

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