Depuis le début de la crise sanitaire de la Covid-19, la loi de l'offre et de la demande s'est inversée sur le marché des métiers de l'eau. « Nous profitions auparavant d'un marché de la sélection, où le nombre de candidats était plus en adéquation avec nos besoins en recrutement, mais la tendance s'est inversée, atteste Xavier Savigny, directeur des ressources humaines, de l'organisation et de la transformation chez Saur. Désormais, nous sommes sur un marché de la séduction, où les entreprises doivent attirer les candidats. » Comme Saur, les grandes entreprises du secteur affichent toutes d'ambitieux objectifs de recrutement et développent, pour ce faire, diverses stratégies pour trouver preneurs sur une gamme uniforme de métiers en tension.
À la recherche d'électromécaniciens
« Les électromécaniciens en recherche d'emploi ne pensent pas forcément au secteur de l'eau, souvent par méconnaissance de nos activités », explique Catherine Lasserre, directrice du développement RH et de l'innovation sociale chez Veolia-Eau France, qui ressent une déperdition similaire sur le poste d'automaticien industriel. Le groupe Suez complète cette liste : séduire des candidats qualifiés dans les métiers des réseaux ou de l'assainissement de l'eau s'avère également ardu. « Les entreprises du BTP proposent souvent des salaires mensuels beaucoup plus compétitifs sur les métiers des réseaux tandis que les professionnels de l'assainissement sont une ressource rare sur le marché », atteste Bertrand Huet, DRH de l'activité Eau France de Suez. Cette filiale compte 10 000 salariés et recrute chaque année environ un millier de personnes, pour renouveler son effectif ou l'agrandir. En 2022, Suez Eau France cible le recrutement de 400 alternants et de 400 collaborateurs à temps plein, dont 5 à 6 automaticiens industriels, 50 à 60 électromécaniciens, 60 à 80 dans le traitement de l'eau et une centaine sur la partie réseaux.
Les régies territoriales ne sont pas non plus exemptes de cette tension. Eau d'Azur, le service de distribution d'eau potable et d'assainissement de la métropole de Nice, peine par exemple à saisir des électromécaniciens et d'autres « métiers d'expertise » – notamment, des ingénieurs dans les domaines du génie civil et de l'hydraulique. « Nous comptons 565 collaborateurs, qui pourraient être portés à 650 pour assurer l'assainissement, précise la DRH d'Eau d'Azur, Cécile Fornili-Michelon. Notre défi dans les prochains mois est de réussir à recruter des ingénieurs confirmés, mais nous risquons de mettre six à neuf mois pour finaliser les recrutements. »
La visibilité, clé du recrutement ?
Pour satisfaire leurs demandes, les recruteurs du secteur jouent principalement sur trois tableaux. Le premier est la diversification du « sourcing » (c'est-à-dire des méthodes de recherche des candidats). Des réseaux sociaux jusqu'à Leboncoin, en passant par des autocollants sur les camions du groupe, Suez-Eau France n'écarte aucune tactique. « C'est un peu l'école de l'humilité, commente Bertrand Huet. Nous essayons toujours de nous renouveler pour faire toucher du doigt ce que notre entreprise peut offrir. » Chez Veolia, Catherine Lasserre invite, en outre, à ne pas sous-estimer la presse locale, qui reste « très utile à l'échelle territoriale ». Une fois la visibilité acquise, les plus grandes entreprises développent des tactiques pour attirer les cibles les plus frileuses. Depuis mars 2021, Saur propose par exemple des contrats sans période d'essai, afin de « créer une relation de confiance », dès le départ, avec les candidats. Suez-Eau France mise, quant à elle, sur des éléments de « rémunérations indirectes » (protection sociale, retraite supplémentaire, actionnariat salarié).
Ces avantages « parfois invisibles » demeurent néanmoins impossibles à proposer pour des régies comme Eau d'Azur. « Nous n'avons pas la même politique d'accompagnement ou de rémunération que le secteur du BTP et nous ne sommes pas en mesure d'offrir des ponts d'or pour attirer des candidats autrement que localement, souligne Cécile Fornili-Michelon, regrettant les faibles perspectives de mobilité pour de telles régies. Mais la chance d'intégrer une régie locale est de pouvoir évoluer sur des chantiers d'envergure, depuis la maîtrise d'ouvrage jusqu'à l'exploitation, et d'avoir un circuit de décisions plus court. »
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