C’est un cube posé sur un rond-point. Voisin d’autres boîtes géantes que cernent les voitures, des Cora, Lidl, Thiriet ou Coiff&Co. A la sortie de la ville, à Remiremont (Vosges), là où s’entremêlent les départementales D417, D23 et D466, la boulangerie Ange à façade métallique noir et vert anis draine un flot incessant de clients vite garés qui, une fois traversé l’espace de restauration, longent 10 mètres de vitrines basses débordant de pains, de viennoiseries, de tartes, de pizzas et de sandwichs.
Un éclairage étudié sublime cette profusion. Du ciel, comme autant de miracles, tombent les promotions en un alignement d’affichettes : « Trois baguettes achetées, une offerte », « Pain de campagne 2,50 euros. 6 euros les trois »… A ceux qui auraient la vue basse, d’avenantes vendeuses en tee-shirt et casquette rouges réitèrent les offres de la quinzaine. Un coin click and collect, retrait des commandes en ligne, satisfait les plus pressés.
En toile de fond, le fournil, ses machines, chariots en Inox et hommes en blanc, offrent une confirmation visuelle de la promesse formulée aux quatre coins du magasin : le « boulanger » Ange réalise un travail d’« artisan ». Si viennoiseries et tartes arrivent tout ou partie surgelées, le pain, lui, des baguettes aux boules de campagne, est pétri, façonné, cuit sur place. Ce qui, selon la loi de 1998, permet à l’enseigne de se revendiquer « boulangerie ».
Des enseignes qui se multiplient comme des petits pains
Comme la trentaine de chaînes de boulangeries de périphérie apparues depuis 2010, dont les implantations, partout en France, n’ont cessé de s’accélérer ces cinq dernières années. Ange en dénombre 207, mais Marie Blachère bien davantage (670 boulangeries), et c’est sans compter Louise (135 magasins), Feuillette (47), Firmin (une cinquantaine) et d’autres encore. Plus un rond-point de zone commerciale sans une succursale ou un franchisé de ces chaînes aux noms teintés de nostalgie, aux décors boisés, fournils exhibés, chiffres d’affaires ventrus comme de belles miches : 780 millions d’euros en 2021 pour Marie Blachère (selon le magazine professionnel B.R.A.), 243 millions d’euros pour Ange, 100 millions pour Louise, 92 millions pour Feuillette…
« Je prends en grande quantité, je congèle, je passe au micro-ondes, nickel (…) Tout s’industrialise, ça nous arrange bien quelque part, la vie fait qu’on n’a pas trop le temps » – Anthony, commercial
Miracle de la multiplication des pains en sortie d’agglomération. Dans la file d’attente, les clients d’Ange, à Remiremont, ne s’en étonnent pas. Morgane, infirmière libérale trentenaire, trouve « le pain meilleur qu’au supermarché », tout en ayant « le sentiment de gagner un peu de sous. » Elle sait que la baguette à 95 centimes d’euro ne coûte plus que 71 centimes par lot de quatre, 62 centimes par brassée de huit.
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