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Au Canada, un pour tous et tous pour un !

LES SYSTEMES SCOLAIRES ETRANGERS CHAMPIONS DE PISA (1/5). Sixièmes au dernier classement Pisa de 2018, les élèves canadiens font partie des meilleurs au monde en lecture, en sciences et en mathématiques. Reportage au Québec, où la réussite du plus grand nombre est le credo éducatif, et où l'on pratique « l'apprentissage par résolution de problèmes ».

Une classe de jeunes enfants visite l'usine hydroélectrique de Beauharnois au Québec.
Une classe de jeunes enfants visite l'usine hydroélectrique de Beauharnois au Québec. (Renaud Philippe/NYT-Redux-REA)

Par Pauline Jacot

Publié le 22 août 2022 à 08:19Mis à jour le 24 août 2022 à 10:43

Quelques bouts de carton ont été plaqués contre les fenêtres des immeubles pour tenter de remplacer les carreaux cassés. Dans les ruelles droites et symétriques qui quadrillent ce quartier du nord-est de Montréal, des adolescents vont et viennent sur les trottoirs, le long des immeubles de pierre rouge. Bras dessus, bras dessous, côte à côte ou par petits groupes, beaucoup portent le polo ou le sweat-shirt bleu marine de leur école : un « P » sur la poitrine, pour « Pierre Dupuy », l'un des établissements secondaires les plus défavorisés du Québec.

A l'intérieur pourtant, toutes les salles de classe sont équipées des derniers écrans interactifs, et les 350 élèves peuvent travailler sur des ordinateurs portables, mis à disposition par l'école. « Si un élève est en difficulté ici, le budget dédié à son apprentissage est multiplié par 3 », souligne Valérie Lagrange, la directrice de l'établissement. « Sur les 51 personnes qui travaillent dans l'école, un tiers occupent des fonctions support, pour pouvoir aider les jeunes qui en ont besoin. »

La réussite du plus grand nombre

Douze employés, dont des orthophonistes, des éducateurs, des psychologues et une conseillère d'orientation, ont été embauchés ces dernières années grâce aux subventions du centre de services scolaires de Montréal, un organe public intermédiaire entre le ministère de l'Education, propre à chaque province, et les établissements scolaires. « On a tendance à se voir comme des maîtres-nageurs, d'abord nous fabriquons une bouée pour chaque élève, puis nous décidons ensuite à quel moment lui enlever lorsque nous sentons qu'il est prêt à nager tout seul », sourit Valérie Lagrange.

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Au Québec, nombreux sont les professionnels du monde de l'éducation, enseignants ou chercheurs, à mettre en avant cette notion de communauté et de solidarité : « La volonté d'éduquer tout le monde et de faire réussir le plus grand nombre d'élèves a toujours été le grand principe inscrit dans notre culture », se félicite Benoît Graton, conseiller pédagogique à l'école secondaire Sophie-Barat, l'une des plus réputées de Montréal. Entouré de grands arbres, le long d'une rivière, l'ancien pensionnat fondé en 1858 par les Soeurs du Sacré-Coeur accueille aujourd'hui 1.750 élèves.

Cette année encore, l'établissement public a été classé parmi les meilleurs de la ville, notamment grâce au programme baptisé « Défi », 20 classes à l'intérieur desquelles des élèves sélectionnés sur dossier bénéficient d'un enseignement approfondi en sciences et en mathématiques. Ces filières d'excellence permettent aux écoles publiques de déroger à la règle de la répartition scolaire qui s'applique au Canada : chaque élève est normalement affecté à son école de quartier.

L'apprentissage par résolution de problèmes

Louis Mercier, dix-sept ans, suit le programme Défi depuis cinq ans à l'école Sophie-Barat. Il est en dernière année de secondaire, l'équivalent de la terminale en France. « Par petites équipes, nous faisons environ deux projets par an, nous apprenons la pratique et la théorie en même temps, quelquefois même nous devons appliquer des concepts que nous n'avons pas encore appris : lorsque j'ai construit mon appareil photo par exemple, j'ai utilisé des théories de l'optique sans le savoir. J'ai appris sur le tas, notre professeur nous a ensuite enseigné les lois et les théorèmes. C'est grâce à cette méthode d'apprentissage que je me souviens encore aujourd'hui de ce que j'ai appris, il y a trois ans. »

Cette méthode, qui propulse les élèves québécois et canadiens en général aux sommets des classements Pisa d'année en année porte un nom : l'apprentissage par résolution de problèmes.

« Cette manière d'apprendre est au coeur de l'enseignement scolaire au Québec depuis les années 1980 », insiste Mélanie Tremblay, professeure et chercheuse en didactique des mathématiques à l'Université du Québec. « Il y a beaucoup de recherches sur l'enseignement au Canada. Année après année, nous faisons en sorte que l'élève apprenne ce qu'il doit apprendre pour résoudre des problèmes. Nous mettons les élèves face à des problèmes assez complexes, pas forcément en rapport avec ce qu'ils viennent d'assimiler en classe. » Pour tenter de résoudre ces problèmes, les élèves doivent être capables de mobiliser plusieurs compétences simultanément, comme la géométrie, l'algèbre ou le calcul de probabilités. « La finalité n'est pas le résultat, c'est l'apprentissage, nous voulons que les jeunes émettent des hypothèses, puis qu'ils expliquent leurs raisonnements pour ensuite argumenter leurs choix. »

Pas de culture du contrôle

Une navette spatiale qui doit retrouver son chemin vers la Terre, l'arrestation de convoyeurs qui déversent du pétrole dans les océans, le budget de M. Tremblay pour passer une journée au golf de Belle-Rivière… Les énoncés de ce genre se succèdent dans les manuels de secondaire. Chaque enseignant est d'ailleurs libre de choisir le sien, et de commencer par le chapitre qu'il souhaite.

« Au Québec et au Canada, certains professeurs choisissent de ne pas suivre de manuel, ils ne sont obligés de rien. Nous n'avons pas ici la culture du contrôle, plutôt celle de l'accompagnement. Chez nous, les centres de services scolaires et les ministères de l'Education de chaque province offrent aux enseignants des heures de formation en français, mathématiques, sciences ou maîtrise des technologies, et mettent à leur disposition plusieurs types de supports pédagogiques. »

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Des ressources faciles d'accès, saluées par les professeurs, comme ces vidéos qui cherchent à susciter la curiosité des élèves en les encourageant à problématiser une situation. « La vidéo commence par une image, des petits bonbons dans un bocal, par exemple, ou une tranche de fromage qui est en train de fondre, le professeur demande alors aux élèves quelles sont les questions qu'ils se posent en voyant ces images. Dans le cas présent, cela peut être le nombre de bonbons qui pourraient rentrer à l'intérieur, ou la température à partir de laquelle le fromage peut fondre. L'idée est ensuite de les interroger sur les informations dont ils auraient besoin pour répondre à leurs questions et ainsi de suite. Les vidéos sont construites pour accompagner l'élève dans son raisonnement », explique la professeure en didactique des mathématiques.

La mise en pratique des savoirs

Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves cherche aussi à évaluer la capacité des élèves à résoudre des problèmes de la vie quotidienne, des situations qui mêlent donc plusieurs disciplines. A l'école Sophie-Barat de Montréal, comme à l'école Pierre-Dupuy, les élèves sont encouragés à mettre en pratique leurs savoirs dans la vie quotidienne. « L'an passé, nous avons mené une expérience sur la nutrition, se souvient Louis Mercier. Nous devions établir un budget cohérent pour bien s'alimenter, nous sommes allés à l'épicerie en face de l'école par petits groupes, nous avons relevé les prix et les calories de certains produits. Nous étions encadrés par nos professeurs de mathématiques, de français et d'éducation physique. Tout le monde travaillait ensemble, élèves et enseignants. »

Une volonté acceptée et partagée d'égalité des chances, la concrétisation des apprentissages, la mutualisation des savoirs et le travail en équipe, sans oublier une certaine dose de liberté dans l'enseignement, la méthode québécoise commence à se dessiner. « Les enseignants ne sont pas là à respirer dans notre dos, sourit Louis. On a la possibilité de suivre des parcours très attrayants, le système est très flexible. »

« Enseignant ressource »

Au Québec, le secondaire s'étale sur cinq ans, le premier cycle regroupe les classes de secondaire 1 et 2, puis à partir du secondaire 3, lorsque les élèves ont environ quatorze ou quinze ans, ils peuvent choisir des options en plus du tronc commun qui regroupe les arts, le français, l'univers social (l'histoire-géographie), les sciences, les mathématiques et la formation éthique citoyenne.

Chaque journée est divisée en quatre périodes quotidiennes de 75 minutes. Des élèves qui n'ont pas validé certaines matières à la fin de l'année ne sont pas obligés de redoubler, ils peuvent tout de même passer au niveau supérieur en repassant les examens plus tard dans l'année. « On met alors en place des cours de soutien », précise Sabine Posso, qui dirige l'école Sophie-Barat. Dans toute la province québécoise comme ailleurs au Canada, le concept « d'enseignant ressource » est très courant : ces professeurs peuvent consacrer plusieurs heures par semaine à des collègues ou des élèves qui en ont besoin.

Diversifier le parcours des élèves

Un fonctionnement qui explique en grande partie le succès des élèves canadiens, selon le chercheur Christian Maroy, professeur à l'Université de Montréal et spécialiste des politiques éducatives. « Un gros effort a été fait dans les années 1990 au Québec pour diversifier le parcours des élèves et faire entrer à l'école des professionnels non enseignants, des psychologues, par exemple, pour détecter et accompagner les jeunes en difficulté. De nombreux ajustements ont été réalisés avec l'idée en toile de fond que chaque élève pouvait et devait réussir. L'objectif n'a pas été de produire une élite, mais de faire en sorte que tous les élèves aient un bagage en commun. »

Retrouvez les autres épisodes de notre dossier :

Les systèmes scolaires étrangers, champions de Pisa

Aujourd'hui, au Québec, des professeurs, des chercheurs et des parents d'élèves craignent que la diversification des parcours n'entame franchement l'égalité des chances. « Généralisons le fonctionnement de programmes particuliers sélectifs à tous les élèves, plaide Thérèse Laferrière, professeure à l'Université de Laval, spécialiste de l'enseignement et de l'apprentissage. Il faut créer le plus de projets éducatifs possible. » Au Canada, le monde de l'éducation ne se repose jamais. Et surtout pas sur ses lauriers.

Pauline Jacot

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