ÉGALITÉ - Les relations filles-garçons dans la cour d’école préfigurent l’espace sociétal à venir et nous propose une photographie de la structuration des relations femmes-hommes. L’étude des cohortes de l’élémentaire à la fin du collège révèle un système hiérarchisant instaurant l’inégale valeur du groupe social des filles (et des autres garçons), le sexisme et l’homophobie.
Les études montrent que de très nombreuses filles comme des garçons souffrent d’une forme de harcèlement à l’école : 50 % à 7-8 ans, 30 % au collège ( Rapport UNICEF : Consultation nationale des 6/18 ans. Quel genre de vie ?)
Pour mémoire, le harcèlement se définit comme une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique. Le mode de harcèlement des filles est principalement basé sur leurs corps : cela peut aller du jugement corporel (trop plate, trop grosse, etc.) aux insultes sur la tenue vestimentaire (trop court, trop décolleté, pas assez, etc.), voire jusqu’aux agressions sexuelles. Le cyberespace est également le reflet de ce harcèlement spécifique.
Pour les garçons, cela se caractérise par des insultes sur leur sexualité – réelle ou présumée –, leur perméabilité au monde des filles ou leur non-conformité à une norme virile, jusqu’aux agressions physiques. Ces violences sont le reflet d’une construction basée sur le système de genre qui performe les stéréotypes sexués et installe le sexisme et l’homophobie comme structure de la relation entre les filles et les garçons.
Il ne peut exister de société égalitaire si des inégalités liées au sexe biologique (ou à son identité de genre, à son orientation sexuelle, à sa couleur de peau, etc.) d’une personne persistent.
Le postulat de base de mon travail est que l’absence de relations entre les filles et les garçons (ne pas jouer ensemble, ne pas partager d’activités, ne pas être ami·e·s, ne pas manger ensemble, etc.) est le terreau des violences. Il s’agit alors de penser les espaces en réhabilitant les filles (et les « autres garçons », ceux qui ne se retrouvent pas dans les codes de la virilité traditionnelle et/ou de l’hétéronormativité), en légitimant leur présence et leur égale valeur. Mais il s’agit aussi de prévenir les agressions en travaillant sur leur construction. Il faut « aménager », amener à la mixité et concevoir des espaces de bienveillance collective.
La question des enjeux de l’égalité filles-garçons s’appuie sur trois niveaux
Tout d’abord, il faut garantir « l’égale redistribution de l’impôt », en permettant l’égal usage des espaces et des aménagements entre les filles et les garçons (et les autres catégorisations : les petit·e·s, les grand·e·s, les sporti·f·ve·s et non- sporti·f·ve·s, etc.). Les observations menées montrent qu’aujourd’hui, en fonction des aménagements, à peine 10 % d’élèves (en grande majorité des garçons) occupent 80 % des espaces récréatifs. Les autres élèves se trouvent alors relégués en périphérie et restreints dans leurs déplacements. Certains ne peuvent pas bénéficier des équipements en place et d’autres ne peuvent pas organiser d’autres pratiques ou d’autres activités que celles du groupe dominant, faute d’espace ou d’équipements.
Il faut aussi garantir l’égal accès à la citoyenneté : la vie quotidienne dans une école, puis au collège, peut s’envisager comme un micro-espace sociétal dans lequel les interactions filles-garçons mettent en scène de la négociation, du renoncement, des revendications et des lieux d’expression publics. Pouvoir être au centre de la cour ou avoir une visibilité accrue, c’est prendre une place dans l’espace citoyen. Il s’agit de questionner la légitimité des filles et des « sujets de filles » dans l’espace du dehors.
Enfin, il faut travailler à une relation filles-garçons moins codifiée et plus apaisée, ce qui aura aussi des effets sur les relations filles-filles, garçons-garçons, petit·e·s-grand·e·s, etc
À l’image de la construction des rapports sociaux de sexe et de genre dans une société, la construction d’un bâtiment, sa structure même, peut enclencher des changements sociétaux ou produire des modes d’organisation inégaux entre les filles et les garçons. C’est tout l’enjeu : impulser le changement, notamment en s’appuyant sur les effets du bâti scolaire.
Quand l’égalité repose sur le droit
Autre conséquence du système, la remise en cause du fondement égalitaire, qui repose sur le droit. Quand j’arrive en classe pour la première fois, je me présente et nous entamons un débat qui s’appuie sur cette simple question : qu’est-ce qu’ « être à égalité » ?
Il est remarquable de noter que les élèves savent définir la notion d’égalité. Il n’y a pas une classe dans laquelle un garçon ou une fille ne m’a pas dit : « Madame, être à égalité c’est avoir les mêmes droits. » Et c’est tout à fait ça ! Il ne peut exister de société égalitaire si des inégalités liées au sexe biologique (ou à son identité de genre, à son orientation sexuelle, à sa couleur de peau, etc.) d’une personne persistent.
C’est pourquoi il est nécessaire de ramener la discussion, les débats, mais également le projet professionnel, sur la reconnaissance du droit. Si l’on s’arrête sur les deux grandes notions républicaines, Égalité et Liberté, on peut dire que la première est une notion politique et la deuxième une notion plus philosophique. Or, elles sont intimement liées : c’est parce qu’il y a égalité qu’il y a possible liberté. Pour en parler, j’utilise très souvent le terme d’« égale liberté ».
On oublie qu’entre « avoir le droit de » (égalité) et « vouloir » (liberté) se cache la notion de pouvoir. Comment cela se traduit-il dans la quotidienneté d’une cour d’école ? En premier lieu par le vocabulaire utilisé par les enfants pour faire le récit de leur(s) expérience(s). Les filles racontent : « Nous, Madame, on n’a pas le droit de jouer au football » ou encore : « On n’a pas le droit de traverser le terrain ». En miroir, les garçons répondent : « Une fois, y’a Émilie qui a demandé pour jouer, mais Gabriel (le chef), il a dit non », ou encore : « De temps en temps, on les accepte ».
Mais alors si tout le monde a le droit de jouer, si elles ont le droit, on ne devrait pas avoir à « les accepter » dans le jeu, elles devraient pouvoir jouer librement. Ce n’est donc pas qu’elles n’ont « pas le droit », ni qu’elles n’ont « pas envie » (certaines revendiquent le contraire), c’est qu’elles ne peuvent pas dans le sens où elles sont empêchées (d’abord par les autres, puis par elles-mêmes).
Et voilà un autre enjeu professionnel pour faire égalité dans l’aménagement et l’animation des espaces : rendre possible. Et rendre possible, c’est briser le rapport de force. Il est alors essentiel de stopper les « agressions » physiques et symboliques (« On se fait toujours bousculer quand on marche sur le terrain », « Ils nous disent : non, tu es nulle ») et d’éviter la légitimation du rapport de force (de fait déséquilibré) en laissant reposer la responsabilité sur les filles (« Tu n’as qu’à t’imposer » ou « Il faut apprendre aux filles à s’imposer »). Ça ne peut pas fonctionner ainsi.
Faire je(u) égal, c’est vivre l’expérience de l’égale valeur dans le regard de l’autre.
À voir également sur Le HuffPost : Egalité femmes-hommes : ces deux députées nous expliquent leurs mesures pour y arriver