Un bouchon a sauté, des verres s’entrechoquent, d’énormes parts de gâteau au chocolat passent de main en main, tandis qu’une dizaine de jeunes femmes bavardent autour de Lucia Hambardzumyan, 24 ans. L’étudiante vient d’achever sa soutenance de mémoire, elle est titulaire d’un master de marketing. Sur le mur qui fait face à l’établissement qui la diplôme, le visage de Charles Aznavour lui sourit doucement. Une phrase tirée d’une de ses chansons accompagne le portrait du chanteur : « Il faut boire jusqu’à l’ivresse sa jeunesse. » Un appel, une promesse lancée depuis vingt-deux ans par une émanation de l’université française dont les murs sont plantés dans le cœur du Causase, à Erevan : l’université française en Arménie (UFAR).
L’Arménie, dans les années 1990, digère tout juste la fragmentation de l’ex-Union soviétique, dont elle a été une république dès 1920. Le pays est en état de guerre quasi permanent avec l’Azerbaïdjan pour la possession du territoire du Haut-Karabakh. Et Erevan a besoin de cadres pour animer et faire prospérer le tissu économique et politique du nouvel Etat. Des alliés intéressés vont porter secours à la jeune république indépendante pour l’aider à former ses élites. L’université américaine d’Arménie est créée en 1991. Puis, en 1997, c’est au tour de l’université russo-arménienne d’ouvrir ses portes en réponse à la présence américaine. Ces deux poids lourds proposent aux jeunes Arméniens leur savoir-faire pédagogique, l’un en anglais, l’autre en russe. Pourquoi les Français ne s’inviteraient-ils pas à cette relance universitaire ?
L’exécutif arménien voit arriver d’un bon œil ce nouveau partenaire sur le terrain de la formation. La France est une vieille amie, elle compte une diaspora puissante, riche d’environ 600 000 personnes d’origine arménienne. Les deux pays ont conscience de leurs intérêts mutuels. « La création de l’UFAR repose sur un accord intergouvernemental entre les deux pays », souligne Anne Louyot, ambassadrice de France en Arménie. « C’est un enjeu d’influence d’être présent et de participer à la formation des futurs décideurs arméniens », reconnaît Matthieu Peyraud, directeur de la culture, de l’enseignement et de la recherche au ministère français des affaires étrangères.
Le français comme langue de travail
La nouvelle université, inaugurée le 18 juillet 2000, est une fondation de droit arménien. L’Etat fournit un bâtiment de cinq étages coincé entre une autoroute urbaine et un lycée professionnel d’Erevan. De son côté, la France offre les services d’un recteur, ou plutôt d’un chef d’orchestre chargé d’importer un modèle pédagogique, de l’adapter aux besoins du pays, puis d’assurer son équilibre financier. Mais que faut-il enseigner ?
Il vous reste 73.21% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.