« Vous considérez-vous comme quelqu’un d’éthique ? » C’est par cette question indiscrète posée aux étudiants inscrits en master of business administration (MBA), que commence le cours « business et éthique », dans les locaux singapouriens de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead). Certains sourient, un peu gênés, d’autres griffonnent ou tapotent quelques mots sur leur ordinateur portable. « Non, pas spécialement », finit par lâcher un participant chinois. Eclat de rire général, teinté d’un peu d’admiration de la part des Européens, qui se déclaraient tous éthiques – « du moins dans ma personne, pas forcément dans mes actes », tente même un étudiant portugais.
Dans le petit amphithéâtre, plus d’une quinzaine de nationalités européennes et asiatiques sont représentées et chacun s’écoute sans broncher. L’occasion pour le professeur français, un ancien champion d’escalade passé par l’industrie minière, de rappeler que « l’éthique est le royaume du paradoxe », et d’annoncer à ces futurs dirigeants d’entreprise un alléchant programme de réflexion, fondé sur des travaux de philosophes européens et des ouvrages de pensée asiatique, mais surtout sur l’étude de cas concrets de conflit moral dans le monde des affaires.
L’Insead, considéré comme l’une des meilleures écoles de commerce selon le classement annuel du Financial Times, a été créé en 1957 à Fontainebleau (Seine-et-Marne). Au départ, « l’école se voulait très internationale, pas seulement française, insiste le doyen Ilian Mihov, professeur d’économie. L’idée était de promouvoir la paix en Europe et de favoriser les échanges commerciaux au-delà des frontières ». L’école a inauguré son campus à Singapour en 2000, en présence de l’ancien premier ministre et père fondateur, Lee Kuan Yew. Depuis, d’autres lui ont emboîté le pas. L’Essec, en 2005 puis l’Edhec, en 2010. Mathias Vicherat, le nouveau directeur de Sciences Po, y a fait, début juillet 2022, l’un de ses premiers déplacements hors d’Europe. D’autres écoles, comme HEC, préfèrent éviter le coût considérable de locaux dans une île aux loyers hors de prix, et nouent des partenariats avec des universités locales, dont l’excellence est reconnue sur la scène mondiale.
Cette déferlante récente des écoles françaises est liée à une politique volontariste du gouvernement de Singapour. Depuis la fin des années 1990, les autorités ont démarché des dizaines de grandes écoles américaines et européennes dans le cadre du projet « Global Schoolhouse », qui vise à faire de la cité-Etat une capitale mondiale de l’enseignement supérieur d’excellence, tout en investissant massivement dans ses propres universités. « Nous avons répondu à une invitation du ministère du commerce qui souhaitait encourager des projets dans l’éducation », précise Aarti Ramaswami, vice-doyenne chargée de l’Asie-Pacifique à l’Essec.
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