Publicité
Reportage

Au lycée professionnel, la perspective de doubler la durée des stages fait débat

Emmanuel Macron a fait de la réforme du lycée professionnel un chantier majeur du quinquennat. Les enseignants s'interrogent sur le doublement des périodes de stage annoncé. Reportage.

Emmanuel Macron veut « ré-arrimer le lycée professionnel au monde du travail » (photo : le lycée professionnel Julie Daubié de Laon (Aisne)).
Emmanuel Macron veut « ré-arrimer le lycée professionnel au monde du travail » (photo : le lycée professionnel Julie Daubié de Laon (Aisne)). (Frederic MAIGROT/REA)

Par Marie-Christine Corbier

Publié le 31 août 2022 à 18:09Mis à jour le 31 août 2022 à 18:24

Il faut « ré-arrimer le lycée professionnel au monde du travail », lançait Emmanuel Macron la semaine dernière devant les recteurs. Alors que les entreprises ont du mal à recruter, le chef de l'Etat entend « mieux préparer les jeunes au monde de l'entreprise et développer les temps de stage d'au moins 50 % ».

En ce mercredi de rentrée des enseignants, au lycée professionnel Julie Daubié de Laon (Aisne), « l'entreprise » est dans toutes les discussions. « Elle est déjà une réalité au quotidien, c'est une relation de tous les instants », explique le proviseur Cédric Cardoso. Les périodes dites de formation en milieu professionnel sont « l'ADN du lycée professionnel ».

Des refus de stage

Pourtant, « 8 à 15 % » des familles de ce lycée refusent ces temps d'entreprise obligatoires. « Pour certaines, il est par exemple hors de question de laisser seul leur enfant de 15 ans à 18 heures, l'hiver, en gare de Laon ou de Reims, parce qu'il fait nuit », explique-t-il. Pour sensibiliser les familles, le proviseur leur a fait signer, cette année, un engagement écrit pour qu'elles autorisent leurs enfants à partir en entreprise.

Publicité

« Il y a aussi les entreprises fictives, ajoute une enseignante. Tel élève réalise son stage chez maman qui fait de l'élevage de chats à domicile, tel autre reste auprès de sa mère qui vend les plats qu'elle prépare. » Que se passera-t-il avec le doublement des périodes de stages ? « Si c'est pour que la moitié des élèves restent chez eux, ce n'est pas la peine », lâche un autre.

« Une opération choc »

Tous les enseignants ont pourtant à coeur de préparer au mieux les élèves. En milieu de matinée, huit groupes de travail se répartissent pour un brainstorming.

Dans cet établissement qui accueille des élèves de milieu défavorisé qui « ne sont pas forcément poussés à la maison », il faut les aider à « gravir cette petite marche dont ils sont capables », incite Cédric Cardoso. Il promet « une opération choc » sur deux à trois jours, pour préparer les élèves en même temps et selon des modalités définies par les enseignants.

Le travail a été enclenché en juin. L'objectif est de créer des exercices pour les élèves avant leur départ en entreprise. Ce mercredi matin, les enseignants cherchent des ressources « ludiques » ou « concrètes ». Dans le groupe intitulé « Je m'adapte à l'entreprise », les débats commencent sur l'hygiène corporelle - « se laver tous les jours, se brosser les dents, éviter l'excès de déodorant ou de parfum… » Mais comment transmettre « sans stigmatiser ? » interroge une enseignante.

Le groupe de travail se met d'accord sur « un code de la route », présenté sous forme de quiz « comme dans les magazines féminins » et qui restera anonyme. « Il faudra aussi évoquer l'usage du mobile et de la cigarette… et leur préciser d'éviter le cannabis le matin avant le stage », glisse une enseignante.

Il y a une grosse misère sociale, mais pour la plupart, ils sont volontaires, on est admiratifs.

Dans la salle voisine, la discussion dévie sur la mobilité des élèves. « La plupart ne se sont jamais déplacés à plus de 30 kilomètres de chez eux », déplore un enseignant. « Et pour ceux de la filière mode, ce n'est pas à la campagne qu'ils vont vivre leur métier », pointe une autre en évoquant les difficultés d'insertion des élèves du CAP Métiers de la mode et vêtement flou.

« Les élèves ne sont pas du tout autonomes », regrette l'un. « Certains n'ont jamais vu leurs parents travailler, il y a une grosse misère sociale, complète un autre mais, pour la plupart, ils sont volontaires, on est admiratifs. »

Le problème du vivier d'entreprises

Qu'apportera le doublement des périodes des stages ? « C'est bien d'augmenter la durée, mais il faut que les entreprises les acceptent ! » répondent à l'unisson les enseignants. En octobre, le lycée accueillera durant une journée des professionnels, dans des secteurs qui recrutent. Le lycée comprend 610 élèves, dans des filières tertiaires classiques et industrielles dont l'insertion est variable.

Publicité

On sacrifie une génération, les programmes sont d'une pauvreté affligeante !

D'autres questions surgissent quant à la réforme à venir. « Va-t-on encore retirer des heures d'enseignement général ? », lance une enseignante en s'en prenant vertement à celle du quinquennat précédent. « Cela m'a conduit à devoir traiter la décolonisation en un quart d'heure ! », se désole l'un de ses collègues. « Les élèves ont l'impression d'être délaissés, on sacrifie une génération, les programmes sont d'une pauvreté affligeante ! » regrette une enseignante qui redoute que la nouvelle réforme « les rende corvéables à merci ».

« Pourquoi pas...»

Dans ce lycée de 70 enseignants, d'autres veulent pourtant y croire. « Quand je vois qu'en primaire, certains ont pu bénéficier de dédoublements de classe , pourquoi pas… conclut un professeur. Si sur une classe de 30 élèves, 15 partent en entreprise, ça peut donner les moyens de travailler en petits groupes. La réforme peut déboucher sur de bonnes choses, il faudra voir comment c'est fait. »

Marie-Christine Corbier (Envoyée spéciale à Laon)

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité