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Enquête

Rentrée scolaire : prof en quatre jours

Pour cette rentrée, 3.000 nouveaux professeurs contractuels - parfois sans aucune expérience d'enseignement - ont été recrutés pour pallier la pénurie de personnel. La formation express qui vient de leur être donnée ne lève pas toutes leurs interrogations.

Pour la rentrée 2022-2023, 3.000 nouveaux contractuels ont été recrutés pour faire face à une p�énurie de professeurs inédite.
Pour la rentrée 2022-2023, 3.000 nouveaux contractuels ont été recrutés pour faire face à une pénurie de professeurs inédite. (Maskot/iStock)

Par Marine Bourrier

Publié le 1 sept. 2022 à 07:00Mis à jour le 1 sept. 2022 à 09:13

« On se lève, on se met sur la pointe des pieds et je compte jusqu'à 10. » Dans le réfectoire du collège Albert-Camus de la Ferté-Alais (Essonne) ce lundi, la vingtaine de participants s'exécute, perplexe. « Voilà comment, tout en étant en classe, on peut faire un peu de sport », explique enfin Violaine Lefebvre, conseillère pédagogique. Elle et sa collègue Magali Bussière animent une « formation d'aide à la prise de fonction » pour les nouveaux professeurs des écoles contractuels recrutés par l'académie de Versailles (Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine, Val-d'Oise) pour la rentrée.

Dans cette académie comme ailleurs en France, leur rôle est de combler les 4.000 postes - sur les 27.330 ouverts, public et privé - restés vacants. Face à la crainte grandissante d'une pénurie de personnel, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, s'est engagé au début de l'été : il y aura « un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France » en ce jour de rentrée.

Sentiment de déclassement, conditions de travail difficiles, déconsidération globale… le métier connaît une profonde crise d'attractivité. Pour tenir la promesse de Pap Ndiaye malgré ce contexte dégradé, l'éducation nationale a massivement sollicité les enseignants contractuels, « variable d'ajustement classique pour maintenir la sélectivité des concours », explique la sociologue de l'éducation Géraldine Farges.

3.000 nouveaux contractuels

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Dans certaines académies comme celle de Versailles, le recrutement express - et massif - de contractuels débutants sous forme de job dating a défrayé la chronique. Seule condition de diplôme requise pour postuler : une licence - mais rien de nouveau à cela. Côté expérience d'enseignement, aucun prérequis n'est attendu. En trente minutes d'entretien, la motivation et la capacité des candidats à se projeter dans la profession sont évaluées : de quoi faire pâlir les étudiants de master qui préparent depuis plusieurs années des concours sélectifs comme le Capes (second degré) ou le CRPE (premier degré).

En 2021, le taux d'admis au Capes externe (s'adressant aux étudiants inscrits en deuxième année de master ou possédant déjà un diplôme de master) de sciences de la vie et de la terre s'établissait à 16,99 %, et celui des candidats au CRPE externe, à 31,11 %.

« On a actuellement deux voies d'entrée dans le métier : une formation qui s'étend sur Bac+5 avec des conditions d'entrée exigeantes d'un côté et de l'autre une formation en quatre jours. On peut se demander si elles ont vocation à se rejoindre », s'interroge Géraldine Farges.

Les profils de ces nouveaux venus dans le monde de l'enseignement sont pour le moins variés. Sur le seul département de l'Essonne, 85 % des néocontractuels en formation sont en reconversion professionnelle.

A l'échelle nationale, Pap Ndiaye évoque « 3.000 enseignants contractuels nouveaux sur un total de 850.000 enseignants », une situation qu'il juge « tendue ». L'académie de Versailles, particulièrement touchée par la pénurie d'enseignants (un peu plus de 900 candidats admis pour 1.600 postes mis au concours), compte à elle seule 607 nouveaux enseignants contractuels recrutés pour le premier degré et 207 pour le second degré, à quelques jours de la rentrée.

Le recrutement pour occuper les postes vacants est toujours en cours dans plusieurs académies. Quant au recours éventuel aux brigades de remplacement, ayant vocation à assurer le remplacement des congés maternité ou longue maladie par exemple, il n'est « pas encore envisagé pour la rentrée », soufflait-on au ministère de l'Education nationale il y a quelques jours.

« Assurer les premiers jours de classe »

Pour la première fois cette année, une formation a été organisée pour les néocontractuels en amont de la rentrée sur directive du ministère de l'Education nationale. Dans l'académie de Versailles, elle s'est déroulée en quatre jours, obligatoires et rémunérés. « D'habitude, les contractuels recrutés sont encore plus balancés dans le grand bain. Quatre jours, c'est bien trop peu pour apprendre mais en même temps, paradoxalement, c'est un progrès par rapport à ce que se fait habituellement », note Claire Bonhomme, secrétaire générale du Syndicat général de l'Education nationale (SGEN)-CFDT Versailles.

En préambule, jeudi 25 août : un accueil institutionnel à distance commun et un cours d'éthique et de déontologie. Chaque professeur néophyte a ensuite suivi une formation généraliste - bien que différenciée entre premier et second degrés - échelonnée sur trois jours. « On a encore beaucoup de choses à voir », constate Magali Bussière, le regard faisant des allers-retours rapides entre sa montre et le PowerPoint qu'elle fait défiler sur le grand écran blanc du réfectoire du collège de la Ferté-Alais.

« Cette formation est pragmatique et opérationnelle », résume Laurent Simon, directeur référent du pôle pédagogique dans le département de l'Essonne. « L'objectif est de former les personnels à assurer les premiers jours de classe. On ne rentre pas dans le vif du sujet avec cette formation-là. »

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« Ne restez pas à côté du tableau toute la journée, déplacez-vous dans la salle. C'est une méthode douce pour inciter l'élève à parler fort », conseille Violaine Lefebvre en déambulant entre les tables. Au collège Albert-Camus, à mesure que les minutes s'égrènent, les futurs professeurs des écoles noircissent leurs cahiers de conseils pour gérer un élève turbulent, construire une séance de cours ou encore choisir le vocabulaire et la tenue vestimentaire adaptés pour s'imposer comme « référent modélisant ». « On évite à tout prix le 'j'en ai marre de vous !' », insiste la formatrice. Un rire monte dans la salle avant de laisser place à un soupçon d'inquiétude.

« Il n'y a pas de mode d'emploi qu'on pourrait calquer », explique la formatrice. « Mais on essaye d'intégrer des outils pédagogiques pour leur permettre de les transposer ensuite en classe », complète sa collègue Magali Bussière. Entre exercices interactifs, mises en situation et discussions entre futurs enseignants, tout est fait pour « les aider à comprendre ce qu'est la pédagogie ».

« Un métier qui s'apprend »

Clara, vingt-deux ans, participe à la formation du jour. Fraîchement détentrice d'une licence de lettres modernes, elle a été recrutée à la suite du « job dating » organisé par l'académie et s'apprête à se retrouver devant des élèves pour la première fois. « La formation est très utile car elle donne accès à des ressources », souligne-t-elle en sortant de sa pochette cartonnée une pile de feuilles recueillies lors de la formation. Mais elle tempère : « On ne nous parle que de choses très simples, de cas faciles à gérer. Nous n'avons pas évoqué les classes à double niveau par exemple. »

Ce qui nous inquiète, c'est que ces personnels soient en souffrance et qu'ils quittent le métier au bout de deux mois.

Claire Bonhomme Secrétaire générale du Syndicat général de l'Education nationale-CFDT Versailles

Si ces formations express arrivent à plus ou moins contenter certains contractuels, les syndicats, eux, ne décolèrent pas : « On sait qu'enseigner c'est un métier qui s'apprend et que cela prend du temps. C'est indigent comme formation », tonne Maud Ruelle-Personnaz, secrétaire générale du SNES-FSU Versailles.

« On risque d'avoir des enseignants avec des pratiques qui ne seront pas forcément adaptées au public qu'ils ont en face d'eux. Ce qui nous inquiète, c'est que ces personnels soient en souffrance et qu'ils quittent le métier au bout de deux mois », souligne Claire Bonhomme.

« Ces enseignants sont recrutés sur leurs compétences, avec des conditions de diplômes qui attestent d'un niveau de formation, se défend de son côté le ministère de l'Education nationale. Ils ne sont pas parachutés sans formation. »

Formation numérique en appui

Outre la formation en présentiel, des supports d'autoformation gratuits sont mis à la disposition des futurs enseignants. La Direction générale de l'enseignement scolaire (Degesco) a notamment sollicité le réseau Canopé, opérateur national de formation par le numérique, pour compléter l'offre consacrée aux nouveaux enseignants.

L'espace « premiers pas dans le métier d'enseignant », accessible en ligne depuis la mi-août, a été conçu spécifiquement pour « venir en appui sur des thématiques complémentaires qui ne sont pas forcément traitées par les académies », indique Marie-Caroline Missir, directrice générale du réseau Canopé.

En quelques clics, les enseignants débutants peuvent par exemple se renseigner sur « la carte mentale : autre façon de construire sa pensée » ou les « méthodes et répertoires de stratégies de résolution de problèmes ».

« Il ne s'agit pas de suppléer une formation académique, mais de répondre très rapidement à un besoin », précise Marie-Caroline Missir. Au 22 août, soit une semaine après le lancement de la plateforme, près de 3.000 visiteurs provenant à 43 % d'Ile-de-France l'avaient consultée.

Un difficile suivi tout au long de l'année

Pour contrer les critiques naissantes sur une formation « au rabais », le ministère de l'Education nationale assure « prévoir un suivi de ces nouveaux contractuels tout au long de l'année », main dans la main avec les inspecteurs d'académie. Mais est-ce seulement réaliste ?

« Actuellement, c'est une mission que nous avons déjà du mal à exercer, glisse Eric Nicollet, secrétaire général du Syndicat unitaire de l'inspection pédagogique. Nous manquons de temps et de moyens pour le faire et la multiplication du nombre de contractuels à la suite du recrutement catastrophique de cette année va impacter notre activité. Il y aura un accompagnement, comme toujours, mais avec beaucoup plus de personnel à suivre donc avec sans doute moins de temps à leur consacrer. »

« Il faudrait que chacun puisse être accompagné par un tuteur de terrain », suggère Claire Bonhomme. « Le problème est que l'Education nationale a déjà du mal à en trouver suffisamment pour les stagiaires. »

Affectations tardives

La qualité de la formation n'est pas le seul problème. Dans le grand réfectoire du collège essonnien, les questions fusent et l'inquiétude se cristallise sur la question de l'affectation. A deux jours de la rentrée, certains nouveaux contractuels ne savaient toujours pas s'ils auront face à eux des élèves de CP ou de CM2.

« Je ne peux pas anticiper, explique Clara. Je ne peux me projeter que pour les premiers jours. » Laurent Simon, interpellé par les participants, botte en touche : « Ce n'est pas de mon ressort. »

« Même si cela n'est pas une nouveauté, ça n'est pas sécurisant », souligne Dorothée Crespin, chargée des contractuels au Syndicat des enseignants-Unsa. « On avait eu l'espoir qu'avec les besoins importants de cette année, la question des affectations aurait été anticipée. Mais le système n'est pas toujours bien rodé et se grippe au moindre phénomène. »

Morgane, vingt-deux ans, est confrontée à cette même situation. Elle compte sur le premier week-end post-rentrée, une fois sa classe connue, pour préparer ses cours « avec Internet et l'aide de [s]es collègues ». Cette future professeure des écoles, licence d'histoire en poche, n'a qu'une crainte - que la formation n'aura su dissiper - à la veille de sa première rentrée : « les mathématiques ». Reste à savoir si les calculs de Pap Ndiaye pour dompter cette rentrée sous haute tension seront les bons.

Marine Bourrier

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