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Education

Le lycée professionnel se réforme en s'ouvrant à l'entreprise

Sur le modèle de l’apprentissage, l’exécutif veut rapprocher l’enseignement professionnel des besoins des entreprises et en faire une filière reconnue. Un chantier capital pour les métiers en tension.

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Des élèves écoutent les instructions de leur professeur lors d'une session de cuisine au lycée hôtelier de La Vidaude à  Saint-Genis-Laval, le 11 juin 2020

Les stages des lycéens vont être rallongés et mieux rémunérés.

AFP - JEFF PACHOUD

Relégué dans l’angle mort des débats éducatifs, l’enseignement professionnel est désormais propulsé comme priorité par Emmanuel Macron. "La réforme des lycées professionnels, à laquelle je tiens beaucoup, devra les arrimer en profondeur et en amont avec le monde du travail", a-t-il déclaré lors d’un discours devant les recteurs, le 25 août. Le chef de l’Etat l’a bien compris, la revalorisation de cette voie d’enseignement "sera absolument clé pour le plein-emploi", son grand objectif d’ici à la fin de son mandat. De fait, à voir les métiers en tension – l’hôtellerie-restauration, la sécurité, les soignants, les personnels de crèche et de maisons de retraite, les techniciens dans la logistique, le BTP, l’industrie –, difficile de comprendre le désintérêt pour les lycées d’enseignement professionnel qui forment un bachelier sur trois (630.000 jeunes), mais ont perdu 10.000 élèves en quinze ans. "Les politiques nationales, qui depuis les années 1990 ont privilégié la voie générale au détriment de la filière professionnelle, ont contrecarré les efforts pour en faire une voie d’excellence", note la Cour des comptes dans un rapport sévère de 2020.

Un décrochage scolaire élevé et une mauvaise insertion 

Pourtant, "l’Insee nous dit que dans les trois ans à venir, la Bretagne aura besoin de couvreurs, d’aides à la personne et de chauffeurs de poids lourds… plus que d’ingénieurs ou de traders", ironise Pascal Vivier, secrétaire général du syndicat de l’enseignement technique. Selon une note récente de la Banque de France, plus de 58% des patrons ont du mal à recruter, alors que le chômage des jeunes dépasse les 16%. Et que près de 12% des 15-29 ans ne sont ni en emploi ni en formation, soit le double de l’Allemagne et de l’Europe du Nord, où les filières d’enseignement professionnel sont bien plus reconnues. Souvent considérés comme une voie de garage, les lycées pros se retrouvent à gérer trop d’élèves en échec, qui y sont orientés sans regarder les affinités du jeune ou les débouchés. Plus d’un sur dix décroche en route. Et pour ceux qui vont jusqu’au bout, l’entrée dans le monde du travail est laborieuse: selon le ministère, seuls 56% des lycéens pros de niveau CAP à BTS ont trouvé un emploi deux ans après leur diplôme.

Le chef de l’Etat est donc décidé à revoir ce système défaillant. Signal politique clair: la nomination d’une ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean, pour mettre en œuvre la volonté présidentielle de faire converger l’école et l’entreprise. Le modèle, c’est la réforme de l’apprentissage, initiée en 2018. Grâce à une simplification des procédures et à des aides massives aux entreprises pour l’embauche et la rémunération d’apprentis, le gouvernement a fait décoller ce système qui associe cours dans des centres de formation en alternance (CFA) et travail en entreprise plus de la moitié du temps. En trois ans, le nombre de contrats en alternance a doublé, à près de 800.000, avec l’objectif d’atteindre 1 million. Une réussite en partie en trompe-l’œil, puisque le dispositif, qui arrose large (et donc est très onéreux), a surtout fait exploser les effectifs des étudiants-alternants de l’enseignement supérieur (Bac + 3 et au-delà), alors que ceux des CAP ou bac sont juste remontés à leur niveau d’il y a dix ans.

Le succès de l'apprentissage doit inspirer les lycées pros

Dans un rapport publié le 22 juin, la Cour des comptes regrette que cette réforme n’ait pas été plus ciblée pour "améliorer l’insertion des jeunes aux plus basses qualifications, qui rencontrent le plus de difficultés à intégrer le marché du travail". C’est d’autant plus dommage que le taux d’insertion professionnelle démontre l’efficacité de l’alternance pour ces élèves, avec 72% des apprentis de niveau CAP à BTS diplômés qui trouvent un emploi en l’espace de deux ans. "Cette réforme a considérablement redoré l’image de l’apprentissage auprès des parents et des élèves, et avec, des métiers techniques et manuels, défend Carole Grandjean dans une interview accordée à Challenges. Il faut s’en inspirer pour ouvrir les lycées professionnels au monde du travail et ainsi leur donner plus d’attractivité." La ministre entend allonger de plus de 50% la durée des stages en entreprise des élèves de ces établissements, pour atteindre huit mois sur trois ans, et qu’ils soient mieux rémunérés. Elle compte aussi faire davantage participer les professionnels extérieurs à la vie des lycées, "dans les classes, où ils interviendront, et dans la gouvernance, en leur confiant la présidence du conseil d’administration".

Par ailleurs, son idée est de favoriser les parcours mixtes, avec un cursus scolaire en seconde, puis une alternance à partir de la première. Aujourd’hui, l’apprentissage reste une pratique marginale au sein des lycées professionnels. Rapprocher ces lycées des entreprises suffira-t-il à revaloriser la filière? Ce sera en tout cas un gros défi. Il faudra affronter les syndicats, dont le Snuep-FSU, qui répugnent à réduire le bagage académique et à pousser les jeunes trop tôt vers des postes potentiellement "pénibles et peu valorisés" pour répondre "aux besoins immédiats et locaux" du patronat. Et la frilosité de certaines sociétés qui, contrairement à l’apprentissage où elles sélectionnent leurs candidats, devront accompagner tous ces jeunes, même les plus en difficulté.

Cependant, l’intégration en alternance dans une entreprise peut justement créer un déclic de confiance pour des élèves au parcours scolaire chaotique. "Nous les coachons afin de leur apprendre à rédiger leur CV, à préparer un entretien", décrit Roselyne Hubert, directrice du pôle apprentissage du groupe privé d’enseignement IGS, à Lyon, qui affiche un taux de réussite au bac pro de 96%. "On va se bagarrer pour les mêmes jeunes", s’inquiète déjà Jean-Michel Christe, responsable des CFA du BTP dans la région Grand-Est. Carole Grandjean espère plutôt favoriser des passerelles entre les deux systèmes, à l’instar des quelques "campus des métiers et des qualifications" où lycées, centres d’apprentis, collectivités, chambres de commerce et entreprises se sont fédérés localement autour d’un secteur économique porteur pour partager un même atelier, des équipements, des offres de stage et d’alternance…

Privilégier les filières qui offrent des débouchés 

Un autre gros problème des lycées pros reste le décalage entre les cursus et les besoins du marché. "Certaines formations aux débouchés faibles ont des capacités d’accueil élevées en raison de l’existence des personnels enseignants, et restent remplies d’élèves orientés par défaut", critique la Cour des comptes. Exemple, la spécialité gestion-administration, où 70.000 élèves s’agglutinaient. "Nous avons réduit les effectifs de 32% en quatre ans", assure Edouard Geffray, directeur de l’enseignement scolaire au ministère. Mais ce n’est pas facile d’ouvrir et fermer des sections selon les besoins, avec 70.000 professeurs chacun spécialisés et qui ne peuvent aisément se reconvertir. "C’est pourquoi les gouvernements n’y touchent jamais radicalement", glisse un connaisseur. Cependant, le chef de l’Etat vient de confier aux recteurs la mission de "revoir la carte des formations, assumer de fermer celles qui ne s’insèrent pas et développer celles qui marchent et en créer de nouvelles"

Pour le syndicaliste Pascal Vivier, le débat doit porter, plus globalement, sur le poids de la filière tertiaire: "Plus de la moitié des lycéens pros y sont inscrits. C’est beaucoup trop." D’autres spécialités devraient être développées. "La bijouterie, pourtant très demandée, n’a aucun prof titulaire." Il faut dire que les formations industrielles, comme l’aéronautique, ou techniques, comme les métiers de bouche, coûtent plus cher. "Entre un ordinateur à 500 euros, qui servira à 38 par classe, et une meuleuse à 150.000 euros utile à 12 élèves, les régions, qui financent l’équipement, et l’Etat, qui finance les professeurs, ont vite fait le calcul", déplore Pascal Vivier. On comprend pourquoi certaines entreprises préfèrent ouvrir leurs propres écoles de productionEt certains cursus sont mis en place tardivement.

Un investissement nécessaire pour améliorer l'égalité des chances 

"Les diplômes pour les 5.000 jeunes que les JO 2024 réclament ne seront disponibles qu’en 2025", s’insurge un patron. "Il faut trois à cinq ans pour créer un diplôme, cela fait passer à côté d’opportunités économiques, reconnaît la députée Renaissance Céline Calvez, qui a travaillé sur l’enseignement pro au côté du chef étoilé Régis Marcon. Mais on ne peut pas en ouvrir à tout bout de champ, elles seraient vite obsolètes." Pour séduire les jeunes et les aiguiller vers les secteurs en tension, encore faudrait-il qu’ils soient renseignés au collège sur la variété et le potentiel de ces métiers. "Nous allons mieux expliquer aux collégiens les opportunités en lycée pro, promet Carole Grandjean. Informer sur les taux d’insertion, organiser des visites en entreprise." Il faudra bien plus de moyens, comme le suggère Roger Serre, fondateur d’IGS, qui compte 8 600 apprentis: "L’Etat et les entreprises pourraient contribuer davantage à la rénovation de l’enseignement professionnel, car il n’y a pas meilleur investissement pour le pays." A la fois pour résorber le chômage et les pénuries de main-d’œuvre, mais aussi pour offrir aux jeunes une meilleure égalité des chances.

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