Un célèbre dessin de presse de Chaunu résume avec humour l’évolution des relations entre les parents d’élèves et l’institution scolaire. À droite de l’image, une scène censée se dérouler en 1969. Des parents montrent le bulletin scolaire à leur enfant, tout penaud, en lui demandant d’un air sévère : « C’est quoi ces notes ? ». À gauche, la même scène, en 2009. Mais, là, les parents s’adressent directement à la maîtresse, devant un enfant au sourire provocateur.

Le dessin se veut caricatural, mais il illustrerait des situations de plus en plus fréquentes, si l’on en juge par les conclusions du rapport d’activité 2021 de la médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, présenté lundi 25 juillet.

Sur les 18 000 saisines traitées par cette instance chargée de la régulation des conflits, 78 % ont été présentées par les « usagers de l’éducation nationale » (élèves, étudiants, familles) dont 12 % concernaient la notation et l’évaluation. Soit cinq fois plus qu’il y a cinq ans.

Au-delà des notes, les familles contestent également les sanctions pour des questions de discipline ou de comportement (20 % des saisines) et remettent globalement plus souvent en cause les décisions de l’école : 46 % des saisines liées à la vie scolaire concernent les conflits parents-établissement.

« La place des notes exacerbe la sensibilité des parents »

« En tant que proviseur, je traite régulièrement des situations de tension entre des enseignants et des parents,surtout depuis la fin des confinements, témoigne Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN-UNSA). Cette période a généré une proximité historique entre l’école et les parents, mais une fois terminée, certains ont eu l’impression qu’ils pouvaient continuer à s’immiscer dans la classe et donner un avis sur les contenus. »

Le proviseur de la cité Berlioz de Vincennes pointe également du doigt la question du contrôle continu. « La place des notes à partir de la première et dans Parcoursupexacerbe la sensibilité des parents sur les évaluations. J’en vois de plus en plus qui demandent une révision des notes. »

Le poids du diplôme est tel que les familles attendent beaucoup de l’école, analyse de son côté Pierre Périer, sociologue de l’éducation. « Ils veulent que leur enfant réussisse sa scolarité mais aussi son orientation. Et ceux qui connaissent bien les ficelles de l’institution savent ce qu’il faut faire pour forcer leur avantage. Ils s’investissent d’autant plus, ajoute-t-il, que le discours politique met l’accent sur la réussite de tous les élèves. »

Si tous les enfants peuvent réussir alors le mien aussi, se disent beaucoup de parents, pris entre « des attentes » vis-à-vis de l’école qu’ils aimeraient « contrôler » et une « relation de dépendance » puisqu’ils ne peuvent pas en changer le fonctionnement, souligne le sociologue. « Or, c’est ce sentiment d’impuissance qui engendre des conflits », dit-il.

Une détérioration du climat scolaire

Et la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver ces frustrations. Le rapprochement entre l’école et les familles n’a été «qu’uneparenthèse, rappelle Pierre Périer. Aujourd’hui, on est revenu à l’état antérieur des relations entre les parents et l’institution scolaire qui, historiquement, a toujours été assez fermée, et cela génère de nouvelles tensions. » Depuis la pandémie de Covid, il y a également « une prise de conscience encore plus forte des inégalités et une demande de scolarité normale », explique le sociologue, auteur de Des parents invisibles. L’école face à la précarité familiale (Puf, 2019).

Du côté de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), on note également les effets post-confinements. Non seulement les liens tissés pendant cette période inédite n’ont pas toujours été maintenus, mais « les parents sont de moins en moins associés au fonctionnement des instances », assure Éric Labastie, secrétaire général de la Fédération. Le représentant déplore une « détérioration du climat scolaire », avec « un manque de personnel et notamment d’enseignants non remplacés » qui peuvent exaspérer les parents dans un contexte où « les établissements ne répondent pas toujours à leurs interrogations. »

La colère s’exprime d’autant plus facilement que les familles ont pris l’habitude de communiquer par mail, voire par SMS avec les enseignants et les établissements pendant les confinements. « Avec le multimédia, certains se permettent des choses qu’ils n’oseraient pas dire en face-à-face, constate Bruno Bobkiewicz. On est beaucoup plus courageux et violents dans les termes derrière un écran. »