Il y a celle qui a commandé un lit pour une élève sur Leboncoin, il y a les habitués de la paire de baskets achetée en urgence sur les fonds sociaux de l’établissement, il y a ceux qui savent détecter l’enfant qui ne s’est pas lavé, n’a pas mangé, n’a pas dormi. Après une rentrée placée sous le signe de l’inflation et de la crise énergétique, les enseignants et personnels de l’éducation habitués à accompagner les familles les plus démunies s’inquiètent. Seront-elles plus nombreuses à avoir besoin d’aide cet hiver ? Celles qui sont fragilisées depuis la crise sanitaire auront-elles encore plus de difficultés qu’avant ?
Partout où la précarité est quotidienne, la crainte d’une année « violente » se fait sentir. « Avant 2021, je n’avais jamais vu des lycéens mettre de côté de la nourriture pour les copains qui ne peuvent pas payer la cantine », commente Catherine Ambeau, professeure de lettres et d’histoire en lycée professionnel à Pessac (Gironde), qui craint que certains élèves ne puissent pas fournir le matériel nécessaire au bon fonctionnement du cours. « Nombre d’entre eux viennent me voir en me disant : “Dans un mois, j’aurai ce qu’il faut, mais là, c’est un peu dur”. »
Les familles font tout, pourtant, pour que leurs difficultés ne se voient pas. « Le jour de la rentrée, les parents avaient fait un effort. Les élèves sont arrivés bien habillés et bien coiffés, note un directeur d’école REP + (les établissements les plus en difficulté) de Nanterre, qui exerce depuis de nombreuses années en éducation prioritaire et ne souhaite pas donner son nom. On sent que les familles ont fait attention à ce que les enfants ne soient pas impactés par leurs problèmes de budget. » Pourtant, quelques points d’alerte sont déjà là. « Certains n’ont pas encore payé l’accueil périscolaire, de l’ordre de 20 euros par élève pour un trimestre, relève le directeur. Cela peut paraître faible mais, si vous avez trois enfants, c’est une petite somme. »
« Leurs difficultés ne se voient pas forcément »
Dans les écoles qui accueillent des familles en difficulté, les équipes éducatives sont habituées à repérer les signaux faibles de la grande pauvreté, en particulier quand elle touche aux conditions de logement. « Un enfant qui dort en classe, vous le voyez assez vite », note Raphaël Vulliez, enseignant en CE1 dans une école de la Croix-Rousse, à Lyon, et membre de Jamais sans toit, un collectif qui a hébergé temporairement dans les écoles plus de 500 enfants sans-abri dans l’agglomération de Lyon depuis 2014. « A partir du moment où les besoins fondamentaux – comme dormir suffisamment, manger à sa faim, se laver et avoir un toit – ne sont pas satisfaits, l’enfant n’y arrive plus », remarque l’enseignant.
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