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Crise de l'énergie : menace sur les engrais stratégiques français

Borealis, l'un des deux producteurs d'engrais azotés haut dosage en France, va stopper une partie de sa production d'ici à quelques jours, étranglé par la flambée des prix du gaz. De quoi assombrir un peu plus les perspectives de la récolte 2023.

L'usine de Grandpuits (photo), l'un des trois sites de Borealis en France, va entrer en maintenance en novembre pour deux mois.
L'usine de Grandpuits (photo), l'un des trois sites de Borealis en France, va entrer en maintenance en novembre pour deux mois. (Boréalis)

Par Basile Dekonink

Publié le 8 sept. 2022 à 13:44Mis à jour le 9 sept. 2022 à 15:02

Si toutes les inquiétudes du monde industriel sont actuellement tournées vers le renouvellement des contrats d'approvisionnement en électricité - et le surcoût colossal qui l'accompagne -, la flambée des cours du gaz naturel commence, elle aussi, à produire des effets très concrets. Etranglé par ses charges, Borealis, un fabricant d'ammoniac et d'ammonitrate, va stopper d'ici à quelques jours une partie de sa production.

De source syndicale, le site de Grand-Quevilly, l'une des trois usines opérées par le groupe autrichien en France, arrêtera ses ateliers de production en milieu de semaine prochaine en raison des prix du gaz, actuellement à des niveaux stratosphériques. Les salariés ont été informés qu'ils auront à réaliser quelques opérations de maintenance, puis ils effectueront des formations et prendront le reliquat de leurs congés avant d'entrer en chômage partiel.

« Plus compétitif »

Contacté, Borealis se contente d'indiquer que le groupe a « réduit ou arrêté certaines unités de production [...] pour des raisons économiques », et que la conjoncture, « trop volatile », « empêche de donner des perspectives plus concrètes pour chacune des usines ».

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Temporaire ou non, cet arrêt va grandement fragiliser l'approvisionnement de la France en engrais azotés, a fortiori en ammonitrate haut dosage, un fertilisant à haute teneur en azote très prisé pour les grandes cultures françaises (céréales, betteraves, colza). Il n'y a, en tout et pour tout, que cinq sites de production d'ammonitrate HD dans l'Hexagone, et quatre sites pour l'ammoniac, son composant principal. Ces installations sont exploitées par le norvégien Yara et… Borealis.

Tous deux assurent la totalité des livraisons de ce fertilisant aux agriculteurs français et tous deux sont, comme l'ensemble de la filière européenne de fabricants d'engrais, terrassés par l'explosion des cours du gaz naturel, qui pèse 80 % du coût de production de l'ammoniac.

La filière européenne à genoux

« Produire de l'ammoniac en Europe revient actuellement entre 2.500 et 3.000 dollars la tonne, c'est un coût qui n'est plus compétitif par rapport aux prix de marché des engrais azotés », confirme Nicolas Broutin, qui dirige Yara France. Ces dernières semaines, de nombreux producteurs européens ont réduit les capacités de production de leurs usines ou stoppé l'activité : l'allemand BASF, l'américain CF Industries, le lituanien Achema AB, le hongrois Nitrogenmuvek, les polonais Grupa Azoty et Anwil…

En cause : la Russie, qui cesse non seulement ses livraisons de gaz mais n'exporte plus non plus d'ammoniac et d'ammonitrate, dont elle est l'un des premiers producteurs mondiaux et dont auraient aussi besoin les producteurs européens. Depuis la guerre en Ukraine, la filière du Vieux Continent est à genoux ; ses usines ne tournent plus qu'à 50 % de leurs capacités pour l'ammoniac et à 33 % pour l'ammonitrate, selon CRU Group.

En France, où les prix du gaz bénéficient d'une légère décote en raison des livraisons de GNL, les cinq sites ont pu continuer à tourner un temps, avant de souffrir à leur tour. Au Havre, l'usine de Yara, qui fabrique de l'ammoniac pour des usages industriels, a dû tourner à capacité réduite six semaines entre mars et avril dernier, avant de retrouver son rythme de croisière.

Borealis freine des quatre fers

Les deux sites où le norvégien produit de l'ammonitrate, à Montoir-de-Bretagne et à Ambès, sont pour l'instant épargnés, le groupe parvenant à acheminer de l'ammoniac depuis ses autres sites de production, aux Etats-Unis ou à Trinidade. Borealis, en revanche, freine des quatre fers : les trois sites tournent en cadence réduite depuis avril.

L'arrêt prochain de Grand-Quevilly, l'un des deux sites avec la plus grosse capacité (400.000 tonnes d'ammoniac au maximum par an), va donc encore contracter la production. D'autant que l'autre, Grandpuits, doit entrer en novembre en maintenance pour deux mois ; il n'y aura plus que le site alsacien d'Ottmarsheim, le plus petit des trois, pour produire à capacité réduite.

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L'avenir de ces trois unités est, par ailleurs, suspendu à leur futur propriétaire : après avoir renoncé en mars à les vendre au russe EuroChem, Borealis n'attend plus que le feu vert de l'antitrust européen pour céder ses actifs français au tchèque Agrofert, dirigé par l'ancien Premier ministre Andrej Babis.

Un problème de prix, et peut-être de disponibilité

Quelles conséquences pour les agriculteurs français, qui ont déjà vu le prix de l'ammonitrate HD - environ 20 % de leur consommation d'engrais minéraux en temps normal - presque quadrupler en deux ans ? « On est très inquiets, cela va créer une tension supplémentaire pour la récolte 2023 alors que le marché est déjà extrêmement tendu », s'alarme Antoine Hacard, président de la coopérative céréalière Cérésia et représentant de la section métiers du grain à la Coopération agricole.

Si la présidente de l'Union des industries de la fertilisation (Unifa), Delphine Guey, ne veut pas « parler de pénuries à ce stade », l'alarme est réelle : « ce qui est perdu est perdu, on ne pourra pas surproduire en relançant les machines ». Derrière l'épineuse question de la disponibilité vient celle des rendements, puisqu'en théorie, 10 % d'azote en moins équivaut à 10 % de production en moins…

Les coopératives s'activent donc pour multiplier leurs sources d'approvisionnement et trouver des alternatives (de l'ammonitrate bas dosage), en provenance de Trinidade ou des Etats-Unis - mais pas de Chine, Pékin ayant fermé la porte aux exportations de ces engrais hautement stratégiques. « On risque de dépendre des importations sur lesquelles on ne maîtrise rien, ça va mettre à mal notre souveraineté alimentaire », se désole Antoine Hacard.

Basile Dekonink

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