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Moi JEune : «Je stresse par peur d’échouer et d’avoir de mauvais résultats»

Moi, Jeune...dossier
Emploi du temps saturé, classes bondées, surcharge de travail à la maison, pression des profs, des parents, des examens et de l’orientation… Quatre lycéennes et collégiens racontent l’aliénation que leur fait subir le système scolaire et le besoin de retrouver du temps pour soi.
par ZEP Zone d'expression prioritaire
publié le 11 septembre 2022 à 19h43

En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep.media, dressent un panorama inédit et bien vivant des jeunesses de France. Retrouvez les précédentes publications.

«Pour me calmer, je me fais des petits massages avec les doigts sur les bords du crâne, discrètement»

Yassin, 14 ans, collégien, Val-d’Oise

«Un jour, alors que j’allais à l’école tout souriant et heureux, je commence tout à coup à avoir une boule au ventre qui veut sortir de mon estomac. Mes jambes et bras tremblent. Ce jour-là, j’allais avoir mon premier contrôle. J’étais en sixième, c’était un très grand changement avec la maternelle et la primaire.

«Ça fait quatre ans que ça dure et que je vis avec ça. Même si je connais toutes les réponses, je stresse beaucoup, toujours… Alors, pour le brevet ou le bac, je pense que je vais mourir de trac. Je stresse comme ça parce que je pense que c’est la peur d’échouer et d’avoir de mauvais résultats.

«C’est toujours la même histoire. Mon quotidien avec le stress de l’école commence quand je rentre chez moi, après les cours. Je mange en pensant au temps qu’il me reste pour travailler et être à jour dans mes révisions. Quand je révise, je révise tout. Après, quand j’ai fini et que je passe un bon moment, je pense aux devoirs et ça me saoule. Ça m’empêche de dormir. Je pense que l’école pourrait aider en disant aux élèves que les contrôles sont simples et qu’il ne faut pas stresser. Qu’il faut juste réviser sans se rendre malade. Si ça va trop loin, il y a des psychologues pour en parler.

«Au début, ma mère me donnait un morceau de sucre pour calmer mes émotions. Et puis moi, je me suis habitué. Je me fabrique des solutions pour faire disparaître le stress. Je me fais des petits massages avec les doigts sur les bords du crâne, discrètement, que les autres ne voient pas. Maintenant, ça va un peu mieux. Le stress, je le garde pour moi-même parce que je n’ai pas envie de montrer mes faiblesses à mes copains.»

«J’ai l’impression que ma vie entière sera comme ça, à courir après les heures»

Juliette, 16 ans, lycéenne, Rive-de-Gier (Loire)

«Certaines personnes trouvent que le lycée, c’est génial. Je ne suis pas vraiment de ceux-là. Il y a deux choses qui m’ont choquée lors de ma rentrée au lycée, en seconde : le nombre de personnes par classe et la masse de devoirs. Si j’arrive à me libérer une après-midi par semaine, c’est vraiment super. Le reste du temps, je fais mes devoirs, je vais au lycée et je fais ce qui est nécessaire à ma survie, à savoir : manger, boire, me laver et dormir.

«Je déteste travailler tout le temps. J’ai l’impression d’être emprisonnée, coincée, privée de liberté. Dans un certain nombre de métiers, on ne travaille pas le week-end, et une fois qu’on a fini notre journée de travail, on peut se reposer (ou au moins ne pas travailler, je n’ignore pas que les adultes ont d’autres obligations que le boulot). Les élèves, eux, n’y ont pas droit. Comparer le travail des adultes avec l’école, je sais que c’est «exagéré». Après tout, nous ne sommes pas payés et nous avons plus de vacances. Il n’empêche que je passe quarante-deux heures au lycée par semaine, et ça, c’est sans compter les devoirs.

«Si je veux faire mon travail correctement, je dois y consacrer au moins trois heures le mercredi après-midi, et une journée entière du week-end. Les professeurs ne se rendent pas forcément compte que nous sommes autant chargés. Quand nous ne travaillons pas ou pas assez, ils vont prendre ça pour un manque de sérieux. Ce qui arrive régulièrement, c’est vrai, mais c’est parfois seulement cette réalité de : “Il vaut mieux que je fasse rapidement le français ou l’histoire-géo ?” Parce qu’on n’a pas le temps de bien faire les deux. J’imagine que les professeurs n’ont pas d’autres choix que de faire ainsi pour finir le programme et arriver à bien faire leurs cours, mais ça montre bien qu’il faudrait changer des choses dans notre système éducatif.

«Cette année, je réussis un peu plus à avoir du temps libre. Ça me demande de bien m’organiser et j’ai l’impression d’essayer de faire rentrer dans un petit pot deux mille litres de liquide. Forcément, ça déborde. Je pourrais dire que j’ai du temps pour faire ce qui me plaît, mais mon cerveau, lui, lance l’opération “stress pour les devoirs”, et cela m’empêche de réellement prendre du plaisir tant que je n’ai pas tout fini.

«Avez-vous déjà ressenti cette impression que cela n’en finira jamais ? Que votre vie entière sera comme cela, à courir après les heures, à espérer pouvoir faire quelque chose qui te plaise, et te rendre compte que tes obligations vont prendre le pas sur tout ?

«A 35 par classe, le rapport au professeur est aussi différent. Je me sens très seule, comme vulnérable face à tous les problèmes. L’année dernière, nous avons appris à écrire un essai, qui suit donc des consignes particulières. On a dû l’écrire seuls chez nous. De retour en cours, la professeur a ramassé quelques copies, dont la mienne. Quand elle est revenue pour nous dire ce qui allait ou non, elle a commencé d’emblée pour moi par : “C’est vraiment pas ton fort l’essai.” C’était une simple petite remarque. Mais blessante et surtout injuste : c’était la première fois que j’en écrivais un. On aurait dit qu’elle voulait que je sache déjà tout faire bien ! Laissez-moi le temps d’apprendre !

«Puis, il y a la pression de devoir choisir ce qu’on veut faire pour les quarante prochaines années de notre vie. Le lycée, c’est un moment important de notre vie où on doit choisir dans quelle direction aller professionnellement, et supporter cette pression et cette angoisse de se demander si on va y arriver ou non, ce que nous réserve l’avenir. C’est dommage que nos conditions de travail soient si difficiles, parce que sinon le lycée serait un endroit génial où on se prépare à la vie d’adulte et où on apprend plein de choses intéressantes.»

«Chaque jour ressemble à peu près à ça: les notes, les notes, les notes»

Katzura, 14 ans, collégienne, Paris

«Aujourd’hui, j’ai eu 17,5 /20 en histoire et géographie, 18 /20 en mathématiques, 14 /20 en français, 10 /20 en SVT, 14 /20 en physique-chimie, 20 /20 en grec, 19 /20 en anglais et 16 /20 en espagnol. Chaque jour ressemble à peu près à ça : les notes, les notes, les notes.

«J’ai l’impression que les notes font la réussite, ou que la vie se résume à ça. Si tu as des mauvaises notes, tu n’auras pas forcément un “bon travail”, tu ne réussiras pas dans la vie et ça peut engendrer de la pression, du stress scolaire. A chaque note, la moyenne baisse ou monte. Moi, quand je la vois baisser, je suis déçue car je sais que mes parents ne seront pas contents. J’ai des bonnes notes pour l’instant au collège, mais au lycée je sais que ça sera différent. Mes notes vont chuter.

«Il y a aussi l’attente des parents. J’ai des “bonnes notes” mais mes parents ne sont pas satisfaits, ils pensent toujours que je peux mieux faire. C’est peut-être dû à mon origine chinoise aussi, ils sont très stricts. Pour eux, les notes dictent ton avenir, ton métier et ta réussite. Ils ne s’intéressent pas au contenu de mes copies, ils regardent juste les notes que j’ai.

«J’ai aussi des activités en dehors du collège, des cours de chinois, de guitare et de piano. Ce n’est pas toujours par plaisir que je les fais. J’ai l’impression de toujours devoir travailler. Et même lors de mes activités, je me sens évaluée. Par exemple, en chinois, il y a deux contrôles au cours de l’année et ça détermine ton niveau : si tu as plus de 60 /100 sur les deux contrôles, tu passes au niveau supérieur. Là aussi les notes font ton niveau alors qu’il faut juste mémoriser. Lors de mes cours de piano, la professeure me regarde faire et c’est stressant car on me juge. On nous note en permanence, n’importe où.

«Le fait de toujours être jugée entre 0 et 20 me stresse énormément, comme si la réussite c’était ça : si tu as moins de 5, tu n’es même pas sûre d’avoir un travail que tu aimes et si tu as plus de 15, tu peux te permettre d’avoir un travail qui te plaît et je trouve ça mal fait. Je ne sais pas comment “améliorer” ça. Mais, plutôt que des notes, peut-être des appréciations sur les élèves ?»

«Quand tu lis, tu n’as pas à penser à tout le reste… dont l’école»

Lucie, 17 ans, lycéenne à Rive-de-Gier (Loire)

«Je trouve toujours un moment pour la lecture : le soir avant de dormir, lors d’un trajet en voiture… J’ai souvent un livre ou ma liseuse à mes côtés. Quand tu lis, tu n’as pas à penser à tout le reste… dont l’école.

«Si tu ne réussis pas à l’école, on te dit que tu es nulle, que tu ne réussiras jamais, que tu finiras caissière à Carrefour. J’ai pu l’entendre de la bouche de certains profs. Si tu réussis, les camarades te traitent de «fayotte», te disent que tu as triché, que tu es une intello. Je l’ai bien entendu cette année, parce que je n’ai que des bonnes notes. A part une fois, et limite, ça m’a fait me questionner sur ma propre valeur.

«Après ma filière ASSP (accompagnement soin et services à la personne), je pourrais faire une école d’infirmière ou d’aide-soignante. Pour y rentrer, il faut avoir de bonnes appréciations, de bonnes notes et un bon dossier. Donc, sur les années de lycée, pas de bavardages, pas de renvoi, pas de conseil de discipline : “Etre une élève modèle.” Du coup, je stresse beaucoup. Ça se manifeste souvent par des crises d’angoisse ou de panique. Je n’arrive pas à respirer, ou très mal, je me ronge les ongles et j’ai mal à la tête. Ces crises se manifestent souvent à l’école, quand j’essaie de me concentrer sur un devoir. Elles me font ressentir un grand malaise comme si mon âme voulait partir mais que mon corps essayait de tenir le coup. C’est assez désagréable. Alors, pour calmer tout ça, je demande la permission de sortir. Je respire un bon coup et j’essaie de me calmer le plus possible avant d’y retourner. Souvent, ça passe rapidement.

«Pour échapper à tout ça, j’ai trouvé une activité, un peu coûteuse c’est vrai, mais qui m’apaise tellement : la lecture. Elle permet de m’évader. Je suis quelques lectrices sur Instagram. Suivre leurs aventures me permet de découvrir des livres que je n’aurais pas achetés : Né pour être Sorcier d’Amélie Jeannot, la Carte des confins de Marie Reppelin, l’Anti-lune de miel de Christina Lauren.

«Lire me permet aussi de rêver. Et rêver fait du bien. Rêver est une sorte de liberté où tu n’as pas de contraintes, pas de loi à respecter, pas d’obligations ni d’engagement à tenir. Tu peux faire des allers-retours en paix. Tu es seule avec tes envies et tes propres limites. J’ai commencé la lecture grâce à Agatha Christie. Depuis petite, j’aime beaucoup les enquêtes policières. J’ai toujours rêvé de ce genre d’aventures, de faire de vraies enquêtes, de les résoudre. J’ai toutes sortes de livres que j’aime mais, dans tout ça, il y a les Harry Potter. Ils me font rêver avec toute cette magie.

«Tous ces livres me permettent de m’imaginer d’autres mondes, d’autres aventures plus palpitantes que la réalité que je vis. J’aimerais que tout ce que je lis et surtout le fantastique existe. Ce serait merveilleux : les sirènes, la magie, les créatures fantastiques, les dragons, les fées, les anges… La lecture me permet d’avoir des connaissances que l’école ne m’a pas apprises.»

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