Lara Tlass Ojjeh est arrivée un peu en retard à notre rendez-vous, dans un café près de la place de la République, à Paris. Elle s’assied en se confondant en excuses, l’air légèrement paniqué, avant de poser sa veste en jean brodée de motifs Mickey sur le dossier de son siège. « Je suis trop désolée, j’ai eu la tête qui tourne dans le métro », explique-t-elle en essayant de reprendre ses esprits. Les premières crises d’anxiété sont arrivées il y a pile un an – cette sensation d’avoir chaud, froid, du mal à respirer sans raison apparente. « Cette histoire de Covid, je n’ai toujours pas réussi à m’y faire. Moi qui étais déjà un peu maniaque de base, je suis devenue obsédée par l’idée de me protéger, de mettre du gel, de respecter les gestes barrières. J’ai peur des transports, je déteste l’idée qu’il y ait plein de gens qui puissent me contaminer, que je n’aie pas le contrôle sur mon environnement. »
Depuis quelques mois, Lara a renoncé à certaines habitudes : « Avant, je faisais beaucoup la fête, mais c’est fini, parce que ça m’angoisse trop d’être avec des inconnus, de boire, de perdre le contrôle », assure-t-elle en remuant la paille dans son verre de Coca. Son cercle amical est désormais plus restreint, limité à quelques proches qui la comprennent vraiment. En ce moment, elle travaille comme serveuse et community manager dans un restaurant parisien, sans beaucoup de passion, vit encore chez sa mère à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) et essaie en vain de trouver un appartement pour quitter le nid familial. Au quotidien, elle se dit très affectée par les actualités « catastrophe » qui lui parviennent sur l’écran de son téléphone entre deux notifications TikTok et Instagram : « La guerre en Ukraine, les incendies dans toute la France, ça me stresse beaucoup », ajoute-t-elle.
Nous connaissions la crise de la quarantaine, théorisée par le psychanalyste canadien Elliott Jaques en 1963, et ses représentations les plus stéréotypées : questionnements existentiels, divorce, envie soudaine de tout plaquer pour aller élever des chèvres ou se mettre aux sports extrêmes. Depuis quelques années, la presse et les sociologues s’intéressent à une autre période de turbulence : la crise de la vingtaine. En 2001, les autrices américaines Alexandra Robbins et Abby Wilner popularisent le concept de « crise du quart de vie » avec l’ouvrage Quarterlife Crisis, The Unique Challenges of Life in Your Twenties (TarcherPerigee, non traduit). Parmi les symptômes les plus courants : la difficulté à savoir quelle place on veut occuper dans la société, l’impression de ne pas avoir les épaules pour assumer ses responsabilités, la sensation que l’entrée dans le monde des adultes n’est qu’une suite sans fin de désillusions.
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