Il faisait nuit. La lumière des lampes se répandait sur les corps poussiéreux et concentrés, noyés dans des documents. On se rappelle être entré timidement dans ce « Saint des Saints » auréolé du mystère du savoir, pour consulter, après avoir montré patte blanche, un livre rare. Un homme sans sourire nous l’avait passé comme une offrande. Trente ans après, quel éblouissement de revoir ce lieu, cette table illuminés de lumière.
Depuis 2016, les chercheurs ont de nouveau accès à la bibliothèque Richelieu, dans le 2e arrondissement parisien, à ses trésors qui, désormais, réunissent dans un même lieu ceux de la Bibliothèque nationale de France (BNF), de l’Ecole des chartes et, comme ici dans la salle Labrouste autrefois consacrée aux imprimés, les volumes de l’Institut national d’histoire de l’art. Concluant dix ans de travaux, la « vieille » Bibliothèque nationale ouvre enfin ses portes au grand public, samedi 17 septembre, profitant des Journées du patrimoine pour célébrer la fin de cette deuxième tranche de rénovation.
Arts du spectacle, estampes et photographies, manuscrits, monnaies, médailles et antiques, musique, cartes et plans ont laissé les imprimés, les collections sonores, les vidéos, la presse et l’archivage du Web sur le site François-Mitterrand, dans le 13e arrondissement de Paris, pour retrouver les rayonnages de leur ancienne demeure de la rive droite. Tout a été nettoyé, mis aux normes (au démarrage du chantier, certaines parties du bâtiment étaient encore alimentées en 110 volts) et réagencé. Si les magasins et les salles de lecture ont été restaurés dans leur jus du XIXe siècle, la circulation de l’ensemble du « quadrilatère » a été entièrement repensée.
« Expansion permanente »
En effet, il ne s’agit pas d’un seul mais de plusieurs bâtiments. 58 000 mètres carrés qui, au fil des années, depuis que Mazarin a acheté, en 1649, l’hôtel Tubeuf, rue des Petits-Champs, pour y installer ses collections, ne cessent d’être modifiés, transformés, reconstruits. Logique : dès lors que, en 1537, François Ier impose le dépôt légal, le fonds ne cesse, mécaniquement, d’augmenter. Le premier inventaire, à Blois, pointait 2 000 livres – beaucoup, pour l’époque. Aujourd’hui, on est à 41,2 millions d’œuvres, hors périodiques. « Les bibliothèques se transforment en permanence, parce qu’elles ne se désherbent pas, souligne Laurence Engel, la présidente de la BNF. L’histoire de ce quadrilatère de bâtis, c’est l’histoire de cette expansion permanente. »
L’abbé Bignon installe ainsi, en 1721, la bibliothèque royale dans l’hôtel de Nevers, adjacent à l’hôtel Tubeuf. Puis il faut élargir l’ensemble après la révolution de 1789, le fonds ayant littéralement explosé, enrichi des livres de Versailles. L’architecte Henri Labrouste, qui, au milieu du XIXe siècle, est chargé de tout rationaliser, détruit massivement pour mieux reconstruire, notamment la magnifique salle de lecture. Son successeur, Jean-Louis Pascal, crée la salle Ovale et le premier Musée des monnaies, médailles et antiques dans un immeuble annexé côté rue Vivienne. Michel Roux-Spitz, admirateur d’Auguste Perret, éventre une partie de l’aile Mazarin, après la seconde guerre mondiale, pour construire le département des cartes et plans dans le style de l’époque…
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