L’heure de la rentrée n’a pas encore sonné pour ce principal d’un collège nantais, classé en zone d’éducation prioritaire. Et pour cause. Il se remet d’une maladie auto-immune rare, le syndrome de Guillain-Barré, qui l’a plongé deux mois dans le coma et quatre en réanimation. « Quand je me suis réveillé, je ne pouvais bouger que les yeux », raconte ce grand gaillard de 50 ans, qui vit sa sortie du centre de rééducation comme une « renaissance » et reprendra le fil de sa vie professionnelle dans quelques semaines. Ironie du sort, il est tombé dans le coma le jour de la publication de son livre, coécrit avec le psychologue Éric Verdier, en février 2021. Intitulé Violence et justice restaurative à l’école (Dunod, 416 p., 32 €), il propose un mode original de résolution des conflits scolaires, inspiré de la Commission vérité et réconciliation lancée par Nelson Mandela en Afrique du Sud, après l’apartheid.

Dans son collège, cette initiative, menée sur la base du volontariat, a permis de faire passer les conseils de discipline de vingt à zéro en un an. En libérant la parole des auteurs comme celle des victimes de violence, elle permet de retracer les origines de la crise pour mieux la dépasser en leur posant des questions comme : que s’est-il passé ? Qu’as-tu ressenti ? Que proposes-tu pour réparer ?

Ces dernières années, il a multiplié les formations auprès de ses collègues en utilisant des jeux de rôles pour mieux leur faire comprendre le phénomène du bouc émissaire, préalable systématique aux situations de violence. « Des élèves comme des enseignants peuvent endosser ce rôle. Et c’est en le comprenant qu’on peut agir », précise-t-il.

À l’épreuve de la violence

Lui-même a ressenti dès son plus jeune âge le stigmate lié à sa couleur de peau. Ses parents, originaires de Guyane (et d’Asie), se sont installés en Île-de-France dans les années 1970. Son père a fait toute sa carrière à La Poste et sa mère était assistante maternelle. « À cette époque, les créoles des Antilles ou de Guyane cherchaient une forme de validation sociale en devenant fonctionnaires », indique-t-il.

Autour de lui, les modèles de réussite des personnes de couleur noire se trouvent essentiellement dans le sport. « Ce n’est pas un hasard si une ville nouvelle comme Les Ulis a accouché de grands sportifs comme Thierry Henry, Patrice Evra ou Daniel Sangouma. » Ses rêves de danse ou d’écriture s’effacent donc devant l’athlétisme de haut niveau, qui lui permet d’intégrer la filière Staps à l’université. Il commence sa carrière de professeur de sport à Évry, dans un lycée professionnel classé en zone de violences. Il y apprend beaucoup, tout en étant confronté à des situations particulièrement difficiles. « Quand vingt jeunes délinquants débarquent en pleine séance pour en découdre avec un élève, il faut savoir se défendre… »

Mais certaines épreuves marquent un point de non-retour. En 1998, un jeune de 17 ans est tué d’une balle dans la tête dans un centre commercial, peu après une dispute dans son lycée. Triste épilogue d’une guerre entre cités rivales, les Pyramides à Évry et les Tarterêts à Corbeil-Essonnes.

Du survêtement au costume

L’enseignant décide de passer le concours de personnel de direction pour mieux sortir des stigmatisations vécues de trop longue date (contrôles d’identité, fouilles de sac…). Pour son premier achat d’une voiture d’occasion, une personne de la préfecture avait même refusé de lui établir une carte crise, croyant qu’il l’avait volée. « Je sortais de mon cours d’EPS, j’étais en survêtement et elle m’avait toisé de haut en bas dès mon arrivée… »

Sauf que le costume de principal ne fait pas tout. « J’ai longtemps porté des dreadlocks et les gens ne voyaient que ça. Il suffisait que je sois à côté d’un adulte blanc devant l’entrée du collège pour qu’on le prenne pour le principal… »

Parti s’installer à Nantes pour faciliter la prise en charge de son fils, porteur de troubles du spectre autistique, il doit là encore jongler avec le poids des normes. « Il faut apprendre à renverser les choses, glisse-t-il. Mon fils fait beaucoup de vélo et porte un gilet jaune estampillé “Autiste, patience SVP”. Tout de suite, les regards sont différents et les personnes nous sourient au lieu de nous dévisager. »

Dans la microsociété que représente l'école, il espère faire changer les mentalités. Parmi ses projets lorsqu’il sera de retour au collège ? Supprimer le célèbre carnet de correspondance, ce « casier judiciaire à ciel ouvert », en recherchant d’autres modes de communication avec les familles.

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Son inspiration : « Les chemins osés de Christiane Taubira »

Max Tchung Ming admire le parcours de l’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira, qui a d’ailleurs instauré des mesures de justice restaurative. « Cette femme d’origine guyanaise a osé aller sur des chemins que peu d’autres ont empruntés », explique-t-il, citant aussi Angela Davis, ­Simone Veil ou Nelson ­Mandela. « Ils n’ont pas un parcours linéaire mais se sont élevés contre les injustices ». Photographe amateur, Max Tchung Ming a réalisé l’exposition « C’est (pas) marqué sur mon front » pour dénoncer les préjugés pesant sur les personnes noires. Ces portraits, qui indiquent la profession des personnes photographiées le long de leurs sourcils, obligent à s’approcher tout près pour les découvrir. Fondateur d’un collectif du même nom, il multiplie les projets artistiques contre les préjugés, comme une Marianne noire dans le clip De mon bagage.