Le grand chamboulement de la haute fonction publique s’est arrêté à eux. Les grands corps techniques, recrutés en majorité à l’Ecole polytechnique, attendent toujours les arbitrages de la mission « Réforme de la haute fonction publique : pour une gestion des ingénieurs par domaines de compétences », remise à l’ancien premier ministre Jean Castex le 18 février, et désormais entre les mains d’Emilie Piette, déléguée interministérielle à l’encadrement supérieur de l’Etat.
Cette réforme des grands corps techniques, qui concerne les quatre corps des ingénieurs des Mines, des Ponts, des eaux et forêts, de l’armement, et les administrateurs de l’Insee, soit environ 5 000 ingénieurs, s’inscrit dans celle, plus large, de la haute fonction publique lancée par Emmanuel Macron en 2019, au lendemain du mouvement des « gilets jaunes ». Le président qui voulait en finir avec le « corporatisme » et la « rente » a déjà finalisé la suppression de l’ENA, remplacée par l’Institut national du service public, acté la création du corps unique des administrateurs de l’Etat, et engagé la réforme de la diplomatie en supprimant le corps de conseillers des affaires étrangères et celui des ministres plénipotentiaires.
La mission, pilotée par Vincent Berger, ancien conseiller enseignement supérieur et recherche de François Hollande, Marion Guillou, ancienne présidente du conseil d’administration de l’X, et Fréderic Lavenir, qui préside aujourd’hui l’Association pour le droit à l’initiative économique, a dressé quelques constats sur ces corps des ingénieurs d’Etat. Tout d’abord, leur rapport confirme et propose de garder la place prépondérante de l’Ecole polytechnique dans le dispositif de formation initiale. En 2020, sur l’ensemble des ingénieurs des grands corps, le recrutement à l’issue de la formation initiale est très majoritaire (72 %), les polytechniciens représentant à eux seuls 47 %.
L’anomalie de l’homogénéité sociale
Autre enseignement logique, la diversité n’est pas au rendez-vous. « Le recrutement dans les grands corps ne parvient pas à introduire en leur sein une diversité suffisante dans toutes ses composantes : diversité sociale, géographique, de sexe, et de formation », écrivent les auteurs. La diversité sociale dans les corps a été calculée, faute de données plus adéquates, « en utilisant la part de boursiers au sein des écoles viviers des corps ».
Ainsi les auteurs rappellent que seulement 12 % des élèves à l’entrée de l’Ecole polytechnique sont boursiers (en 2018), pour 29 % à l’entrée de l’ENA, principal réservoir des corps administratifs, en 2021. La mission juge que cette faiblesse est une « anomalie » et un « handicap ». « En donnant à voir un modèle masculin et socialement homogène, elle dissuade les talents et crée les conditions de sa propre pérennisation par l’autocensure des vocations. » Certes, les grands corps « héritent » de la faible diversité du vivier des grandes écoles largement documentée par les chercheurs, mais cela n’empêche pas, selon les auteurs, d’agir « sur l’amont ».
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