Passer l’essentiel de son temps sur sa thèse, censée être bouclée en trois ans ? Ou le perdre à financer ses recherches avec des petits boulots ? Alexandre, en troisième année de doctorat en lettres et sciences humaines dans une université parisienne a tourné le problème dans tous les sens avant de trouver une voie médiane, qu’il qualifie de « honteuse ». Ce trentenaire, qui a longtemps travaillé parallèlement à ses études, s’est résolu à « tricher » : il passe sous silence son statut d’étudiant pour pouvoir bénéficier du RSA, d’une couverture santé gratuite, en plus de l’aide personnalisée au logement et d’aides de la mairie de Paris.

La fac elle-même bricole aux marges de la légalité pour l’aider à se maintenir à flot. « On m’a accordé un peu d’argent pour deux voyages de recherche fictifs », assure-t-il. Les quelque 800 € de revenus qu’il parvient à amasser chaque mois sont « avalés par le loyer et les factures ». Le problème, résume-t-il, c’est la nourriture. « N’étant pas boursier, je ne peux pas prétendre aux repas à 1 € dans les restaurants universitaires. Heureusement, les serveuses d’un resto U, près de chez moi, me donnent discrètement des restes à emporter. »

Un doctorant sur quatre ne bénéficie d’aucun financement

Le cas d’Alexandre n’est nullement isolé, témoigne l’association Linkee, qui lutte contre la précarité alimentaire des étudiants. « À chaque distribution, nous croisons des doctorants », glisse une responsable. Et l’étude que la Fage, principal syndicat étudiant, a publié mardi 20 septembre permet d’objectiver ce phénomène.

« Un doctorant sur quatre – et jusqu’à un sur deux en sciences humaines et sociales – ne bénéficie d’aucun financement dès la première année », relève Fanny Sarkissian, vice-présidente de cette organisation. « De plus, pour ceux qui en bénéficient, les contrats doctoraux (1 769 € brut mensuels, NDLR) s’arrêtent au bout de trois ans », insiste-t-elle. Alors même que l’enquête, menée auprès d’environ 2 000 doctorants, montre qu’un sondé sur deux (47 %) ne pense pas être en mesure de soutenir sa thèse au terme des trois années.

Des frais de recherches pas toujours pris en compte

Autres enseignements : les dépenses inhérentes au travail de recherche ne sont pas toujours prises en charge par l’université ou l’organisme au sein duquel se prépare la thèse : ce n’est le cas que de 69 % des intéressés pour les frais de colloques, de 67 % pour l’ordinateur, et de 46 % lorsqu’il faut payer pour se faire publier dans une revue scientifique.

À cette « précarité effrayante », comme la qualifie Fanny Sarkissian, s’ajoute parfois un défaut d’encadrement (jusqu’à 20 doctorants par directeur de thèse), voire un climat malsain (24 % des sondés disent avoir déjà été victimes, dans le cadre du doctorat, de harcèlement moral, de violence sexiste ou sexuelle ou de discrimination). De quoi expliquer une perte d’attractivité de ce diplôme (75 000 inscrits, soit 10 000 de moins qu’il y a dix ans).

Des annonces gouvernementales pour « revaloriser » le doctorat

Il faut dire aussi qu’en France, où les grandes écoles font souvent de l’ombre aux universités, le doctorat (bac + 8) est peu valorisé sur le marché du travail : il offre même, en moyenne, des perspectives d’insertion inférieures au master (bac + 5).

« Les doctorants ne sont pas plus précaires financièrement aujourd’hui qu’hier », commente de son côté Anne Fraïsse, présidente de l’université Montpellier 3. « Mais avec l’extension du financement par projets, qui nous contraint à embaucher des contractuels pour quelques années et non des titulaires, ils ont à juste titre l’impression que cette précarité va se prolonger en début de carrière s’ils choisissent de devenir enseignants-chercheurs. »

Consciente de ces difficultés, la ministre de l’enseignement supérieur Sylvie Retailleau a annoncé, mi-septembre, des mesures destinées à « revaloriser » le doctorat : reconnaissance de ce diplôme dans les conventions collectives, augmentation de 20 % du nombre de contrats doctoraux, augmentation de 20 % de la rémunération pour les nouveaux contrats, hausse de 50 %, d’ici à 2027, du nombre de conventions industrielles de formation par la recherche, qui permettent elles aussi de financer des thèses.