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Décryptage

Le spectre d'une nouvelle vague de désindustrialisation guette la France

Les ralentissements d'usines freinées par le coût de l'énergie, massifs en Allemagne, commencent à se multiplier en France. Les chaînes de valeur sont perturbées avec le recours aux importations en provenance de zones plus compétitives. Un coup dur au mouvement de réindustrialisation que la pandémie avait provoqué.

Le surcoût de production avoisinerait 6 à 7 milliards d'euros en Europe.
Le surcoût de production avoisinerait 6 à 7 milliards d'euros en Europe. (JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP)

Par Matthieu Quiret

Publié le 3 oct. 2022 à 06:45Mis à jour le 3 oct. 2022 à 11:51

C'est un record l'an dernier qu'on a peu de chances de revoir de sitôt, celui de 150 créations nettes d'usines en France. La crise énergétique est même en train de donner un violent coup de frein à la relocalisation des chaînes de valeur que la pandémie avait inspirée. L'explosion des factures d'électricité et de gaz grippe l'industrie européenne et la liste de ceux qui toussent enfle. Outre-Rhin, l'engourdissement des usines est massif , une entreprise sur dix a freiné sa production, selon le patronat allemand.

En France, la situation n'est pas aussi mauvaise, se rassure un responsable à Bercy, mais il s'inquiète de la multiplication des signaux d'une baisse de production. L'organisation professionnelle France Industrie vient de faire le pointage de ses membres en difficulté : déjà une cinquantaine de sites arrêtent ou freinent des lignes de production, avec une dizaine qui recourent à des mesures radicales comme du chômage partiel, à l'image de Duralex ou de Borealis.

Depuis la pandémie, les entreprises et les consommateurs se sont bien sûr habitués aux pénuries , effets de la désorganisation de la logistique mondiale et des à-coups de la demande. Sauf que cette fois, le problème ne vient plus uniquement des files d'attente du port de Los Angeles ou des usines chinoise paralysées par le Covid. Le mal est à l'intérieur des frontières européennes, à côté de chez soi, et il a changé de nature. Le prix de l'énergie dévore la rentabilité des usines qui pédalent parfois à vide aussi par manque de matière première dû aux aléas climatiques et au contexte géopolitique.

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Papier, tuiles, jeans

Les ralentissements dans la sidérurgie , le verre et chez tous les énergo-intensifs ont déjà défrayé la chronique mais des difficultés plus discrètes plombent d'autres secteurs dans l'amidonnerie, le sucre par exemple. Ce sont aussi les groupes de presse et leurs imprimeurs qui se disputent les ramettes de papiers, camion par camion, témoigne une éditrice. La pulpe est gourmande en calories et l'explosion du commerce électronique a détourné les derniers papetiers actifs vers la production de cartons.

Dans le BTP, les constructeurs de maisons comme les promoteurs immobiliers voient leurs chantiers buter sur le manque de tuiles, de briques, de carrelage. Pour l'heure, ce sont surtout les petits acteurs du marché qui trinquent. « Nous avons des partenariats forts avec nos fournisseurs, des engagements sur de gros volumes », explique Antoine Vandromme, directeur général adjoint d'Hexaom, le premier constructeur de maisons en France. Ce qui permet à l'entreprise d'être servie avant les autres. Mais « nous sommes inquiets de l'éventuelle fermeture d'usines », voyant ce qui se passe en Allemagne ou en Belgique.

On est en train de perdre la dynamique de la réindustrialisation

Gilles Attaf Président du club des Forces françaises de l'industrie

Dans le textile, la fameuse marque de jeans français 1083 vient de décider de stopper sa fabrication certains jours. Le nouveau contrat d'électricité renégocié fait passer sa note annuelle de 400.000 à 1 million d'euros. « Nous avons plusieurs adhérents qui réfléchissent à arrêter. On est en train de perdre la dynamique de la réindustrialisation » déplore Gilles Attaf qui préside le label Origine France Garantie et le club des Forces françaises de l'industrie.

Substitutions

Auditionnés fin septembre par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, les représentants des entreprises consommatrices d'énergie ont multiplié les messages d'alarme. Nicolas de Warren, le président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden), estime que le gros risque est celui « d'un décrochement industriel par rapport aux concurrents extra-européens par rupture des chaînes de valeur ». Autrement dit, les industriels de l'amont sont obligés d'aller produire ailleurs. Et qu'en aval, les entreprises recourent à des substitutions par des importations très compétitives.

D'après l'Uniden, les deux phénomènes sont déjà en cours comme en témoignent les 30 % de baisse de consommation industrielle de gaz déjà enregistrés par Engie. Des productions déplacées au Maghreb ou au Canada, par exemple. Il cite les pénuries d'engrais qui stressaient tout récemment le monde agricole, causées par le ralentissement des usines européennes d'ammoniac. Le problème serait en passe d'être réglé par l'import de cette molécule, multiplié par 15. Autre exemple de matière facilement transportable, l'éthylène qui sert au PVC ou les billes d'aluminium, dont les volumes d'import ont quintuplé. « Tout ceci se fait au détriment de notre outil de raffinage et de pétrochimie », déplore Nicolas de Warren, qui pointe l'offensive actuelle des fournisseurs américains et chinois.

La compétitivité de l'usine Europe décroche donc. Le surcoût de production avoisinerait 6 à 7 milliards d'euros, selon Rexecode. « Tous les investissements industriels se tournent vers la zone nord-américaine », prévient le responsable du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire, Frédéric Coirier. Un discours fait aussi pour presser les pouvoirs publics. Bruxelles pourrait décider très prochainement un système de plafonnement du prix de marché. Berlin, elle, vient de promettre un bouclier à 200 milliards d'euros.

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Le chiffre clé

de 50 à 800 %

Le bond des factures d'énergie qu'enregistrent les membres du CLEEE, l'association des grands consommateurs d'énergie

VIDEO. Les 4 grandes raisons qui font que la récession arrive

Matthieu Quiret

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