Qu’ils le reconnaissent à contrecœur ou le combattent avec virulence, les acteurs de la protection de l’enfance s’entendent sur un constat : ces dernières années, le recours à l’intérim s’est largement développé dans les structures prenant en charge les enfants confiés… faute de mieux. Frappé, comme d’autres, par une crise du recrutement sans précédent aux raisons multiples (bas salaires, manque de reconnaissance, contraintes élevées) le secteur tente tant bien que mal d’assurer sa mission de protection des jeunes. Quitte à placer devant eux des professionnels non qualifiés, qu’il faut alors former, ou à faire appel, souvent dans l’urgence, à des intérimaires.
« Le recours aux intérimaires s’est accru au fil du temps, ce qui est très problématique par rapport à la qualité de la prise en charge, voire incompatible avec la continuité des parcours qu’on appelle de nos vœux pour les enfants qui nous sont confiés », confirme Flore Capelier, directrice de l’Observatoire national de la protection de l’enfance, qui souligne l’importance des « liens d’attachement » pour ces enfants, aux parcours déjà faits de ruptures.
Une enquête menée cet été par l’Uniopss, un réseau d’associations des secteurs du sanitaire, social et médico-social, auprès de 252 établissements et services de protection de l’enfance témoigne de cette évolution inquiétante : 95 % d’entre eux rencontrent des difficultés de recrutement, et 49 % reconnaissent, dans ce contexte, avoir fait appel à l’intérim.
Certains départements, chefs de file de la protection de l’enfance, sont passés à l’étape supérieure, en déléguant directement la responsabilité d’enfants à une structure n’embauchant que des intérimaires. Parmi eux, le Calvados ou la Mayenne. En juin 2021, ce dernier département a fait appel à une association partenaire, « qui possède sa propre société d’intérim » pour lui confier treize mineurs. Des éducateurs, des veilleurs de nuit et des animateurs intérimaires se sont succédé devant ces enfants « à profils complexes », qui « avaient mis en échec les autres modes d’accueil », explique Isabelle Leboulanger, directrice de la solidarité du département. Une solution « provisoire », précise Mme Leboulanger. « Un appel d’offres est en cours, c’est une structure qui n’a pas vocation à être pérenne », assure-t-elle, consciente des critiques qu’une telle prise en charge peut susciter.
« On fait quoi ? »
De la même manière, sa collègue du Calvados, Christine Resch-Domenech, directrice générale adjointe de la solidarité, justifie ce recours à l’intérim par « l’urgence ». « On avait des enfants avec des troubles psychiques, en danger dans leur famille, avec des parents qui craquent, sans solution d’accueil dans le handicap ou le médico-social, et nos partenaires en protection de l’enfance n’avaient pas la possibilité de réagir rapidement, justifie la responsable. A ce moment-là, pour les élus, la question qui s’est posée était la suivante : on fait quoi ? On les laisse chez les parents ou on prend cette décision ? » Quarante mineurs sont pris en charge depuis avril 2021 par une structure composée d’intérimaires. C’était « le seul opérateur qui pouvait, en l’espace de quatre mois, monter à quarante places en accueillant des fratries », assume Mme Resch-Domenech. Selon la convention signée par le département, qui a été renouvelée, le dispositif est financé jusqu’en mars 2023.
Il vous reste 22.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.