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Interview

Lycées pro : «Une réforme pensée d’en haut par des gens qui ont une très grande méconnaissance de la réalité»

Alors qu’une nouvelle rénovation de l’enseignement professionnel est dans les tuyaux, un coup d’œil dans le rétro permet de voir que les politiques proposent les mêmes recettes depuis des décennies, analyse le chercheur Vincent Troger.
par Elsa Maudet
publié le 18 octobre 2022 à 6h40

Se plonger dans le passé peut provoquer un certain désarroi tant, parfois, l’histoire se répète. Il en va ainsi de l’enseignement professionnel. Avec son projet de réforme, qui vise principalement à rapprocher les lycées pro des entreprises, Emmanuel Macron reprend nombre d’orientations déjà proposées par le passé. Et déclenche, comme par le passé, de vives oppositions. Vincent Troger, chercheur associé au centre de recherche en éducation de Nantes et spécialiste de l’enseignement professionnel, analyse les raisons pour lesquelles cette voie tourne en rond et reste la mal aimée du système scolaire.

Déjà en 1985, au moment de créer le bac professionnel, il était question de rapprocher l’école et l’entreprise, de redorer l’image de l’enseignement professionnel, de revoir la carte des formations, de miser sur la concertation locale… L’histoire de la voie professionnelle n’est-elle qu’un éternel recommencement ?

Absolument. Vous pourriez remonter jusqu’au début de la révolution industrielle, quand les changements techniques ont provoqué des besoins de formation nouveaux, vous auriez à peu près les mêmes discours. Lorsque Xavier Darcos crée le bac pro en trois ans, en 2008, c’est la généralisation de l’expérience lancée en 2000 par Jean-Luc Mélenchon, qui disait alors déjà vouloir faire entrer l’apprentissage dans le lycée professionnel. Quant au fait de payer les élèves de lycée pro [Emmanuel Macron a annoncé la gratification de tous les stages, prise en charge par l’Etat, ndlr], Claude Allègre l’avait proposé il y a vingt ans. A l’époque, il en avait parlé avant de faire les comptes ; le projet a duré deux jours. Là c’est pareil : comment Emmanuel Macron va-t-il trouver l’argent pour les payer ? Je demande à voir.

A chaque fois qu’une nouvelle technique ou un nouveau marché se crée, on a nécessairement un problème de formation des gens qui vont participer à cette production. Pendant les Trente Glorieuses, par exemple, il fallait construire vite : les entreprises se sont tournées vers les pouvoirs publics et ont soutenu le développement de l’enseignement professionnel. Or, dès lors que l’on demande à l’école de s’en occuper, les professeurs disent «on ne va pas former les ouvriers uniquement pour être des ouvriers, on va les former pour être des hommes cultivés et des citoyens». C’est une tension classique dans une économie de marché.

Pourquoi les mêmes débats et les mêmes propositions reviennent-ils sans cesse ?

A chaque fois, les mêmes acteurs sont sollicités, les problèmes sont les mêmes, donc les solutions sont aussi toujours les mêmes. Macron espère que ça changera en intégrant le ministère du Travail [la ministre déléguée à l’Enseignement professionnel est sous la double tutelle des ministères de l’Education et du Travail, une première, ndlr], en déplaçant les centres de décision. Mais faire collaborer ces deux ministères sera difficile, car ils ne sont pas sur les mêmes approches. Cette réforme est pensée d’en haut par des gens qui ont une très grande méconnaissance de la réalité du monde du travail et de la formation.

Les seuls qui ont les bonnes solutions sont ceux qui arrivent à trouver un consensus. Les Allemands, les Autrichiens et les Suisses ont réglé la question à l’amiable : l’Etat édicte des règles globales à respecter dans l’apprentissage, les entreprises qui le souhaitent forment pour elles et pour les autres et les syndicats de salariés sont partie prenante de cette organisation. En Allemagne, la qualité du travail est mieux reconnue et récompensée que chez nous, y compris le travail de production. Et les acteurs sociaux cherchent le consensus – les syndicats sont davantage présents dans les conseils d’administration, par exemple. Nous, on n’est pas dans cette logique-là, c’est plus conflictuel.

Redorer l’image de la voie professionnelle est un enjeu perpétuel. Comment y parvenir ?

Pour l’instant il n’y a que 15 ou 20 % des élèves de lycées professionnels qui obtiennent un BTS [bac + 2, ndlr]. C’est une formation qui donne l’impression aux familles d’enfermer leurs enfants dans un destin d’ouvrier ou d’employé. Comme il y a peu de promotion interne dans les entreprises françaises, si un ouvrier n’a pas passé son BTS, il ne pourra pas évoluer vers un bureau d’études. En Allemagne, il y a une possibilité plus forte de promotion interne.

Pour revaloriser le lycée professionnel, il n’y a qu’une solution : il faut faire en sorte d’organiser des possibilités de trajectoires ascendantes via une formation professionnelle, jusqu’à arriver éventuellement à un master. C’est l’idée des campus des métiers, qui réunissent lycées professionnels, lycées techniques, IUT, CFA et entreprises. Mais cette collaboration ne peut pas se décider d’en haut, il faudrait donner les moyens aux acteurs de terrain de le faire.

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