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Solutions solidaires : sondage

Sondage : salaire, sens et temps libre, des valeurs qui travaillent les Français

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Le sondage Ifop sur le rapport des Français au travail réalisé pour Solutions solidaires révèle des évolutions liées à l’actualité, telles le pouvoir d’achat, les postes non pourvus, et d’autres plus profondes, qui remettent en cause sa place centrale dans nos vies.
par Patrick Cappelli
publié le 18 octobre 2022 à 4h42

Grande démission, manque de bras dans tous les secteurs, salaires grignotés par l’inflation, prédominance du temps libre sur le labeur : jamais l’univers du travail n’avait autant bougé. C’est ce que montre l’étude Ifop pour Solutions solidaires réalisée les 20 et 21 septembre. A la question «quels faits récents liés au travail vous ont-ils le plus marqués ?», la première réponse (deux étaient possibles) est logiquement l’inflation et la perte de pouvoir d’achat, suivie des postes non pourvus. «La vague de démissions ou le développement du télétravail émergent, mais sont loin de monopoliser l’attention comme les ‘‘blockbusters’' inflation et pouvoir d’achat, sans oublier la réforme des retraites qui arrive en troisième position», analyse Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Quels mots caractérisent le plus le travail pour les Français ? Le salaire (cité en premier par 33 % des répondants) puis la nécessité (22 %). Les mots connotés positivement – épanouissement (7 %), valeur (8 %), utilité (8 %) – arrivent loin derrière. «C’est uniquement quand on est certain de pouvoir vivre de son travail qu’on peut envisager un autre type d’équilibre», estime Jérôme Saddier, président d’ESS France (la Chambre française de l’économie sociale et solidaire).

Une inversion des priorités

Mais ce sont les réponses à la question cruciale de la place dans nos vies de l’emploi, censé durant des décennies en être au cœur, qui changent la donne. A la question «quelle est la place du travail dans votre vie ?» (qui n’a été posée qu’aux actifs, soit 56 % de l’échantillon), 7 % seulement des sondés estiment qu’il incarne la chose la plus importante, 34 % le plaçant au même niveau que la vie de famille, les amis et les loisirs, 13 % le qualifient de secondaire, 46 % le considèrent moins important que leur vie personnelle. «Les plus jeunes sont 56 % à penser que le travail est important. De même, les catégories populaires relativisent beaucoup moins cette place prépondérante que les catégories aisées», précise Jérôme Saddier. La question «préféreriez-vous gagner plus d’argent mais avoir moins de temps libre ou gagner moins pour plus de temps libre ?» montre l’inversion des priorités qui s’est opérée en quinze ans.

En 2008, époque de la formule célèbre de Nicolas Sarkozy «travailler plus pour gagner plus», le rapport était de 62 %-38 % en faveur de plus d’argent. En 2022, le Covid étant passé par là, le rapport est de 61 %-39 % pour plus de temps libre. «C’est un peu paradoxal, car la préoccupation du salaire et du pouvoir d’achat est prégnante. Mais en même temps, on souhaiterait avoir davantage de temps pour soi. Et dans l’idéal, sans rogner sur son pouvoir d’achat», décrypte Jérôme Fourquet, qui regrette que «toute une partie du personnel politique tourne encore avec le logiciel de 2008». Jérôme Saddier, lui, note qu’il y a de plus en plus d’abandons de poste : «C’est un phénomène massif qui inquiète le gouvernement, car il se traduit par un licenciement et ouvre donc des droits au chômage.» L’Assemblée nationale a d’ailleurs voté une loi le 5 octobre pour changer le statut de l’abandon de poste qui n’ouvre plus de droits.

Quelles alternatives au travail ?

Quels acteurs sont capables de changer le travail ? Sans surprise, l’Etat truste la première place (40 %), suivi des grandes entreprises (21 %). «C’est un problème culturel. On a mis en avant les grands groupes capitalistes plutôt que le tissu des PME et les organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS)», regrette Jérôme Saddier. Le pouvoir de transformation des syndicats (7 %), des territoires (7 %) et des PME et TPE (6 %) est perçu par les sondés comme quantité négligeable. L’ESS ne recueille que 3 % des suffrages en première intention. Les réponses à la question sur l’intérêt des Français pour ces modèles différents d’entreprises (posée uniquement aux actifs occupés) se divisent en trois tiers : le premier s’y intéresse (mais seulement 5 % «tout à fait»), un deuxième n’est pas intéressé et le troisième ne sait pas ce que c’est. Ce qui séduit le plus ces adeptes de l’ESS, c’est d’abord le sens et le sentiment d’être utile à la société (48 %). «Le potentiel d’attractivité n’est pas négligeable, notamment chez les moins de 35 ans et les cadres», ajoute Jérôme Fourquet.

Conclusion de Jérôme Saddier sur ce sondage : «On n’a toujours pas trouvé mieux que le travail pour nous permettre de vivre nos vies. Mais de plus en plus de gens réalisent qu’ils sont jetables et que le capitalisme n’a pas vraiment besoin d’eux.» Reste à trouver des alternatives, revenu universel ou économie sociale et solidaire, deux concepts qui n’ont pas encore rencontré leur public.

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