Dans les lycées professionnels, turbulences sociales avant le lancement de la réforme
La ministre déléguée à l'Enseignement et à la Formation professionnels, Carole Grandjean, lance vendredi la concertation sur le lycée professionnel, pour renforcer le lien avec l'entreprise, augmenter la durée des stages et payer les élèves.
« C'est du jamais vu depuis quarante ans », lance Pascal Vivier, secrétaire général du SNETAA-FO, premier syndicat d'enseignants dans les lycées professionnels. Tous les syndicats ont appelé à la grève ce mardi contre la réforme de la voie professionnelle, qualifiée d' « immense chantier » par Emmanuel Macron. L'appel à la grève a gagné l'ensemble de l'Education nationale.
Du côté des enseignants non syndiqués aussi, l'incompréhension domine, alors que la précédente réforme vient de se mettre en place.
La ministre déléguée à l'Enseignement et à la Formation professionnels, Carole Grandjean , donnera ce vendredi le coup d'envoi de la concertation . Quatre groupes de travail seront consacrés au décrochage, aux poursuites d'études, au taux d'accès à l'emploi et aux nouvelles marges de manoeuvre des établissements.
« Quand parlera-t-on des vrais sujets qui crispent ? s'inquiète Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN, principal syndicat de chefs d'établissement. Quand débattra-t-on de l'augmentation du nombre de stages, de la contrepartie financière et de la généralisation de la découverte des métiers ? La gratification des stages [ payée par l'Etat , NDLR] sera-t-elle cumulable avec les bourses ? Que se passera-t-il si l'assiduité du jeune n'est pas respectée ? Aujourd'hui, personne n'est capable de nous répondre. »
Les syndicats déplorent une fausse concertation, expliquant que la ministre a déjà fixé l'objectif : augmenter la durée des stages de 50 % à partir de septembre 2023. « On va donc négocier des miettes », s'emporte l'un d'eux. Le gouvernement évoque une réforme « très progressive » et assure que l'objectif est celui d'une meilleure insertion, l'augmentation de 50 % de la durée des stages pouvant être un moyen d'y parvenir.
La hausse du temps passé en entreprise concentre toutes les inquiétudes : les élèves auront-ils moins de cours ? Avec quelles conséquences pour les enseignants ?
« Une semaine de stage, une semaine de cours »
Emmanuel Macron a appelé à « dédoubler les classes », avec une partie des élèves en stage et une autre au lycée, pour « avoir le temps de français, de maths ou autres dans une classe deux fois moins nombreuse ». « A terme, l'idée serait de mettre en place une véritable alternance avec une semaine de stage et une semaine de cours », explique un bon connaisseur du dossier.
« Le ministère va cantonner les lycéens à des métiers liés aux bassins d'emploi, c'est un scandale scolaire », réagit Sigrid Gerardin, secrétaire générale du SNUEP-FSU. L'intersyndicale y voit « de la main-d'oeuvre gratuite » pour des entreprises en proie aux pénuries. « Si c'est pour mettre des boîtes de conserve dans des rayons, on peut faire 50 % de temps en plus en entreprise, ce n'est pas ça qui va apporter pédagogiquement quelque chose aux élèves, s'agace Bruno Bobkiewicz. En entreprise, il y a parfois des choses très intéressantes et parfois, pas du tout. » Il faudra « construire un pacte de formation avec les entreprises », rétorque un promoteur de la réforme.
La réponse des entreprises, « un vrai sujet »
Mais les entreprises, justement, pourront-elles répondre à cette demande accrue de stages, alors que les lycéens peinent déjà à en trouver ? « C'est un vrai sujet, reprend cette même source. Certains lycées peuvent être dans des secteurs isolés ou en crise économique. »
Lire aussi :
REPORTAGE - Au lycée professionnel, la perspective de doubler la durée des stages fait débat
Le gouvernement veut fermer des filières qui envoient certains élèves « dans le mur » et en ouvrir d'autres, en lien avec les nouveaux métiers du plan France 2030 . Le chef de l'Etat a déjà parlé de « reconversion » des enseignants et de « formation » aux nouveaux métiers.
Le gouvernement justifie la réforme par la lutte contre le décrochage . « Dire que le lycée professionnel est le fautif du décrochage scolaire, c'est une provocation inutile, réagit Pascal Vivier. C'est comme si on s'étonnait qu'il y ait plus de morts aux urgences des hôpitaux qu'en dentaire. On récupère des jeunes cabossés par la vie. »
La question de la gouvernance des lycées professionnels et du rôle accru des entreprises dans leurs conseils d'administration est aussi « un chiffon rouge », rappelle le syndicaliste.
« Répondre aux aspirations des jeunes »
L'intersyndicale lycéenne a appelé au blocage des établissements, considérant que l'intervention d'entreprises dès la classe de cinquième, dans le cadre des « demi-journées avenir », serait « une hérésie ». Le collectif « Une voie pour tous », qui réunit lycéens professionnels, anciens de ces établissements et professeurs milite pour dresser « un constat lucide ».
La nouvelle génération ne rêve pas que d'employabilité, explique son fondateur Dylan Ayissi. « Le secteur du jeu vidéo est en pleine explosion, expliquait-il lors d'une rencontre organisée par le think tank « VersLeHaut ». Pourquoi ne pas avoir des filières professionnelles dans ce secteur, ou dans les métiers du web, du sport, du social - celles qui ressemblent aux aspirations des jeunes et pas seulement aux besoins économiques ? »
Marie-Christine Corbier