Quand il évoque le 16 octobre 2020, Erwan (les enseignants cités par leur prénom ont souhaité garder l’anonymat), professeur d’histoire-géographie, parle d’une « déflagration ». Le soir où Samuel Paty a été décapité aux abords de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) pour avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression, cet enseignant niçois a compris « que l’on peut mourir d’enseigner des valeurs de tolérance, d’égalité et de liberté ». Deux ans après, il l’affirme : « Mon métier ne sera plus jamais comme avant. »
A l’heure des hommages et des commémorations, les mots « sidération », « choc », voire « traumatisme » sont encore sur les lèvres de nombreux enseignants lorsqu’il s’agit d’aborder l’attentat qui a ébranlé la profession dans ses fondements, il y a deux ans. « C’est une épreuve durable, et je pense que nous n’avons pas encore saisi toute la mesure de cet épisode », estime Rémy Sirvent, secrétaire national du SE-UNSA au secteur laïcité, école et société.
Chez les professeurs, invités il y a quelques jours à organiser des hommages les 14 et 17 octobre, la vive émotion des premiers mois s’est estompée. Si tous affirment « ne pas oublier », certains confessent « ne plus en parler », et la très grande majorité dit « faire cours normalement ». Mais nombreux sont ceux, notamment parmi les professeurs d’histoire-géographie, qui constatent que l’attentat a laissé des traces dans leurs pratiques.
« Je prends des pincettes »
Souvent, même chez les plus chevronnés, la mort de Samuel Paty a éveillé, ou avivé, une vigilance qui ne les quitte pas. « C’est évident qu’il y a des choses que je ne gère plus du tout comme avant », constate Raphaëlle, professeure d’histoire-géographie depuis presque trente ans en Gironde. La cabale lancée contre Samuel Paty sur les réseaux sociaux a attisé chez elle une inquiétude profonde de cette vie en dehors de la salle de classe sur laquelle elle n’a pas de prise. « Je fais maintenant très attention à ce que mes échanges avec les élèves ne soient pas enregistrés, je prends des pincettes quand j’aborde des questions liées à la religion par exemple, et je suis plus vigilante à la manière dont je m’adresse aux élèves, car je ne sais pas comment ça va être répété », liste-t-elle.
Peser chaque mot, ciseler le vocabulaire, veiller à ne pas être mal compris, à ne pas blesser… Cette question de la réception et de la perception de ses propos par des adolescents soucie constamment Thibault, professeur à Versailles. Lui a commencé à enseigner après la mort de l’enseignant de Conflans-Sainte-Honorine et il reconnaît avoir dans la tête une « ampoule Samuel Paty qui s’allume à chaque fois qu’[il] aborde une question sensible » avec ses élèves.
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