« La première fois que j’ai entendu parler, lors d’une conférence, de la décroissance, j’étais étudiant en deuxième année d’économie à l’université de Versailles-Saint-Quentin. J’avais votre âge, et j’ai ricané. Je me suis dit : c’est qui ce plouc, ce guignol qui n’a jamais pris un seul cours d’économie ? Depuis, j’ai fait pas mal de chemin. »
C’est avec cette mise en abyme que l’économiste Timothée Parrique, 33 ans, auteur de Ralentir ou périr. Une économie de la décroissance (Seuil, 20 euros, 320 pages), commençait sa conférence devant un parterre d’étudiants et de salariés de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC) de Paris, lundi 19 septembre. Une heure pour exposer les thèmes de son livre sorti trois jours avant, et déjà en rupture de stock : l’impossible croissance verte, les fausses promesses de la croissance économique, le projet de société de la postcroissance…
L’économiste, actuellement en poste à l’université de Lund (Suède), était aussi invité à dispenser un cours sur « les fondements de la décroissance » aux 380 étudiants de première année. Depuis 2021, tous les élèves suivent un séminaire de dix-huit heures d’enseignements sur le dérèglement climatique – un parcours mis en place en réponse à une demande pressante des étudiants.
« Justice sociale et bien-être »
Parler de décroissance au sein de l’école de l’élite économique, qui forme chaque année une armée de jeunes à rendre les entreprises encore plus profitables ? Un drôle de paradoxe qu’évacue rapidement l’économiste, qui assume aller « là où l’on l’invite ». « En tant qu’universitaire, je participe au débat public. Mon rôle pendant ces quelques heures à HEC est d’équiper les étudiants d’un cadre théorique auquel ils n’ont pas accès. Ils seront amenés à prendre des décisions dans dix ans, ils ont donc besoin d’avoir tous les cadres analytiques en leur possession. Si je viens, c’est pour les étudiants. Je ne dilue rien du contenu, et je raconte exactement la même chose à mes étudiants en Suède et dans mes recherches. » Le « cadre théorique » dans lequel s’inscrit son intervention, il en donne une définition simple : « La décroissance est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et de bien-être. »
Née dans les années 1970, l’idée de décroissance prend son envol notamment grâce à des intellectuels français comme Serge Latouche (économiste), Paul Ariès (politologue), André Gorz (philosophe et journaliste). Aux Etats-Unis, en réponse à une commande du Club de Rome, un think tank basé en Suisse, trois chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Jorgen Randers, Donella et Dennis Meadows, publient, en 1972, Les Limites à la croissance. Ce rapport deviendra un best-seller, vendu à 12 millions d’exemplaires et traduit dans 37 langues. Pour la première fois, une nouvelle technique de modélisation simule douze scénarios prospectifs portant sur la production industrielle et de nourriture, la croissance démographique, la raréfaction des ressources et la pollution. La conclusion : la croissance exponentielle de la production et de la population dépasse les limites planétaires.
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