L’amphithéâtre de HEC Paris affiche complet. Sur scène, un ingénieur en jean qui n’a plus besoin de se présenter : à 60 ans, Jean-Marc Jancovici est devenu, dans certains milieux étudiants, une rock star. « Comme nous avons déjà tous visionné une ou plusieurs de vos conférences, on va passer directement aux questions », annoncent, en guise de préambule, les étudiants membres de Esp’R, l’association écologiste de HEC qui a invité le président du think tank The Shift Project, en cette fin septembre 2022.
« Les mines de terres rares sont-elles réalisables en France ? » « Peut-on faire un effort collectif dans un régime qui n’est pas totalitaire ? » « Avez-vous parfois envie de saboter des SUV ou de crever des pneus ? » Tour à tour techniques, politiques, désenchantées, ironiques, les questions fusent. Jean-Marc Jancovici répond de façon claire et documentée, parfois avec humour, mais toujours sans perdre de vue l’objectif : sensibiliser les futurs cadres au changement climatique. Suivi par près de 600 000 personnes sur le réseau professionnel LinkedIn, « Janco », comme l’appellent ses ouailles, est la figure de proue des « évangélisateurs » d’une pensée écologiste.
Il n’est pas le seul. Ces dernières années, une poignée de chercheurs, scientifiques, experts, vulgarisateurs sont devenus des références, alors que les formations dans le supérieur peinent toujours à s’emparer de cet enjeu. Des figures montantes – et très majoritairement masculines – qui personnalisent une pensée, une réflexion, et exercent une influence sur les étudiants et jeunes diplômés. Ceux-ci se partagent les liens de leurs conférences en ligne, leurs livres, leurs bandes dessinées, relaient leurs tweets ou leurs passages dans des émissions télévisées.
Sur les plates-formes de vidéos ou de podcasts et sur les réseaux sociaux, beaucoup se forgent ainsi un programme d’apprentissage alternatif : la totalité des cours d’introduction à l’énergie et au changement climatique de Jean-Marc Jancovici pour les élèves des Mines, la chaîne d’entretiens Thinkerview sur YouTube, les podcasts thématisés (« 2030 Glorieuses », « Présages », « Sismique »…). « Voir ces experts expliquer les liens de cause à effet entre notre modèle économique et les dérèglements en cours m’a politisé », témoigne Rémi Vanel, ingénieur de 23 ans diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam). Peu à peu, une autre vision du monde s’impose chez ces jeunes. Elle accentue la dissonance entre leurs aspirations et les structures dont ils héritent et qui leur semblent de plus en plus inadaptées aux catastrophes en cours et à venir.
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