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« Quand j’ai abandonné ma carrière d’ingénieure, il y a quinze ans, la sobriété était un truc d’hurluberlu »

« Premières fois » : récits de moments charnières autour des études supérieures et du passage à l’âge adulte. Cette semaine, Anna, 38 ans, raconte comment elle a quitté la carrière d’ingénieure qui lui était promise, il y a quinze ans, avant qu’on ne parle de « désertion » des jeunes diplômés.

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Publié le 15 octobre 2022 à 07h00, modifié le 18 novembre 2022 à 11h52

Temps de Lecture 5 min.

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Je n’ai jamais fait partie d’un réseau ou mouvement de jeunes diplômés se définissant comme « déserteurs ». Il n’en existait pas encore, en 2008, quand je suis sortie de Centrale Nantes, et que je questionnais, seule, la brillante carrière d’ingénieure qui m’était promise. Je suis passée par cette grande école avant Clément Choisne et Arthur Gosset, diplômés en 2018 et 2021. Le récit médiatisé de leur remise en question professionnelle et de leur « désertion », pour des raisons écologiques, notamment, me fait ressentir aujourd’hui un sentiment d’appartenance. Non pas à cette école, dans laquelle j’avais été assez vite mal à l’aise, mais à un mouvement. Contrairement à eux, mon cheminement a été sensible et solitaire avant d’être politique et collectif. J’ai bifurqué avant l’heure, c’était il y a quinze ans.

Fille d’enseignants lillois croyant fermement à l’ascension sociale par l’école, j’ai intégré Centrale après un parcours en prépa scientifique qui ne fut pas facile. L’exigence intellectuelle et scientifique me plaisait, mais j’ai eu plus de difficultés avec le milieu des grandes prépas parisiennes et le système des classes dites « étoilées ». Confiance en soi, codes sociaux, culture de la classe dominante ; moi la fille de classe moyenne, je découvrais sur le terrain les facilités des élèves d’un autre milieu social, et les effets de la reproduction sociale décrite par Bourdieu.

Ensuite en école d’ingénieurs, je crois que j’ai été très surprise par l’atmosphère peu sérieuse qui règne durant au moins la première année. Les élèves, sursélectionnés, se lâchent et font la fête après avoir trimé pour les concours (j’en faisais partie). Ils n’accordent finalement plus de réelle importance aux enseignements, partant du principe que l’école est surtout là pour amener le réseau nécessaire pour accéder aux grandes entreprises et cabinets de conseil qui ne manqueraient pas de nous ouvrir leurs portes rapidement, comme à nos prédécesseurs. Seule, je me sentais enfermée dans le microcosme de l’élite, loin des réalités sociales. La plupart des élèves ne savaient pas vraiment ce qu’ils avaient envie de faire ensuite. Rien ne nous amenait à nous poser des questions de cet ordre, la spécialisation n’intervenant qu’en troisième année. C’était aussi mon cas et cela m’inquiétait, sans être capable de mettre d’explications sur mon ressenti.

Travailler en lien avec la nature

La première fois que j’ai envisagé de changer de voie, c’était pendant mon stage « ouvrier » de fin de première année, dans un grand groupe de BTP. Cela a été un choc. Sur le chantier de construction de banlieue parisienne où j’étais « conducteur de travaux », j’ai découvert le rapport de domination entre les cadres, dont je faisais partie, et les corps de métier (plombier, plaquiste, etc.), d’autant plus fort quand il s’agissait de main-d’œuvre immigrée, intérimaire ou sous-traitée payée le minimum. Mon maître de stage et certains collègues me disaient « il faut se blinder et accepter que le monde du travail soit fait de rapports de force parfois violents ». Mais je ne supportais pas de devoir participer à ce que je voyais comme une forme d’exploitation, à la misogynie ambiante, au mépris des clients qui nous amenait parfois à leur masquer les malfaçons du bâtiment, à l’absence totale d’intérêt pour les questions environnementales… Bref : à la course à la performance, à la production industrialisée, résultant du capitalisme. Nous étions dans les années 2000, les choses ont-elles changé aujourd’hui ?

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