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Déserts médicaux : "Les paramédicaux peuvent apporter un soin de proximité à ceux qui en ont besoin"
"Cela fait des années que les professions paramédicales demandent ces transferts qui leur permettraient d’apporter un soin de proximité à ceux qui en besoin."
Hans Lucas via AFP

Déserts médicaux : "Les paramédicaux peuvent apporter un soin de proximité à ceux qui en ont besoin"

Tribune

Par Patrick Chamboredon

Publié le

La semaine dernière, les différents ordres de santé ont présenté au ministre François Braun leurs propositions pour lutter contre la désertification médicale, dont Marianne soulignait récemment l'ampleur dans un long dossier. L'objectif : s'appuyer sur le partage des compétences entre médecins, infirmiers ou kinés. Une urgence, alors que les généralistes manquent, alerte Patrick Chamboredon, président de l'Ordre des infirmiers.

Le constat est accablant : six millions de Français – dont 600 000 personnes touchées par des affections de longue durée – n’ont pas accès aujourd’hui aux soins de proximité adaptés à leurs besoins parce qu’ils vivent dans des déserts médicaux, sans médecin, ni solution alternative. Six Français sur dix ont d’ailleurs déjà renoncé ponctuellement à se soigner, découragés notamment par les délais de rendez-vous ou la distance à parcourir pour accéder à un cabinet médical.

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Cette situation est une rupture d'égalité insupportable entre les territoires et les citoyens. Si l’on ne fait rien, cette fracture va aller en s’aggravant, malgré les mesures prises pour desserrer le numerus clausus qui ne seront pas suivies d'effets avant une dizaine d'années. C‘est pour résoudre ce problème que le ministre de la Santé, François Braun, a appelé les Ordres de Santé, représentant les professionnels du secteur, à travailler sur ce sujet et apporter des solutions concrètes et urgentes à ces inégalités.

« Il s’agit de donner la possibilité à un patient qui ne peut facilement faire appel à un médecin, d’accéder directement sans prescription à un autre professionnel de santé, pour des soins primaires sans gravité. »

Pour cela, le système de santé peut s’appuyer sur une force, la présence sur tout le territoire de centaines de milliers de professionnels de santé : infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pharmaciens, sages-femmes, pédicures podologues… La cartographie réalisée récemment pour l'Ordre national des infirmiers montre qu’on trouve aujourd’hui des infirmiers en exercice dans les 1663 bassins de vie déterminée par l'Insee en France, que ce soit dans les villes, les zones périurbaines ou les campagnes. Cette présence est particulièrement significative dans les déserts médicaux affectés par l’absence de généralistes.

Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale du 4 octobre dernier, la Cour des comptes prenait acte de cette densité des personnels paramédicaux dans notre pays. Cela l’amenait logiquement à recommander le transfert de compétences et de certains actes médicaux entre les médecins et ces professionnels. Ceux-ci sont en effet parfaitement aptes à réaliser certains soins primaires pour lesquels ils ont été formés mais ne sont pas aujourd’hui autorisés à le faire parce que les décrets qui réglementent ces professions – notamment celle d’infirmier – donnent une définition désuète et trop restrictive de leurs compétences. Publié en janvier dernier, le rapport « Trajectoires » de l’Inspection générale des affaires sociales, rattachée au ministère de la Santé affirmait également que les partages de compétence étaient une garantie d’accès aux soins pour les patients.

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Cela fait des années que les professions paramédicales demandent ces transferts qui leur permettraient d’apporter un soin de proximité à ceux qui en besoin. Ils appellent aussi à une évolution de la réglementation pour introduire la notion de « premier recours » aux paramédicaux. Il s’agit de donner la possibilité à un patient qui ne peut facilement faire appel à un médecin, d’accéder directement sans prescription à un autre professionnel de santé, pour des soins primaires sans gravité.

« Le médecin resterait, bien sûr, seul habilité à poser les diagnostics, à définir la stratégie thérapeutique, et initier les traitements. »

Aujourd’hui, les choses avancent en ce sens. Au Parlement, des amendements étendant la possibilité de vacciner aux infirmiers ou ouvrant la possibilité de l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée ont été retenus en commission. Surtout, le 12 octobre dernier, les sept Ordres de Santé, rassemblés dans le C.L.I.O. santé (Comité de liaison des institutions ordinales), ont présenté au ministre un texte commun retenant le principe du transfert des compétences et du premier recours, une avancée inédite. Il faut maintenant passer des principes à l’action, en définissant une liste précise des actes à transférer et les nouvelles modalités d’accès aux professionnels paramédicaux.

Dans le nouveau système, les infirmiers pourraient par exemple réaliser un diagnostic dans leur champ de compétences, prescrire certains médicaments d'usage courant pour apporter un premier soin et jouer un rôle de coordination au sein des parcours de soins en adressant les patients vers d'autres professionnels de santé. Le médecin resterait, bien sûr, seul habilité à poser les diagnostics, à définir la stratégie thérapeutique, et initier les traitements. Ce fonctionnement à préciser pourrait apporter enfin une réponse sanitaire de proximité, adaptée et rapide, aux besoins de nos concitoyens, y compris dans les déserts médicaux. Il ne faut pas laisser passer cette chance. Dans le passé, les volontés de réforme se sont souvent heurtées au blocage de certaines organisations s’opposant à toute évolution qui remettrait en cause le monopole, sur certains actes, y compris les plus simples, au nom des risques que présenterait une « médecine à deux vitesses ». Alors même que le statu quo est synonyme d’une inégalité dans l’accès aux soins au détriment de millions de Français !

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Mais aujourd’hui, l’heure n'est plus à l’idéologie, ni aux conservatismes. Les autorités publiques doivent mettre en œuvre effectivement la révolution qui remettra le patient au centre du système de santé. Les 650 000 infirmières et infirmiers que compte la France ont montré pendant la pandémie leur capacité à assumer ce statut de « soignants de première ligne » en continuant à aller vers les patients fragiles où isolés, afin de leur apporter les soins nécessaires, et sont encore aujourd’hui parmi les rares professionnels de santé à se déplacer au domicile des personnes malades et vulnérables. Ils sont aujourd’hui à nouveau prêts à s’engager, aux côtés des médecins et des autres professions paramédicales, pour renforcer notre système de santé et permettre l’accès de tous aux soins.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne